Quel partage voulons-nous pour notre eau commune ? Pistes pour une Sécurité Sociale de l'Eau 

26/08/2024     GROUPE LOCAL MIDI-PY DE RÉSEAU SALARIAT , ARTICLE COORDONNE PAR THIERRY

    Quel partage voulons-nous pour notre eau commune ? Pistes pour une Sécurité Sociale de l'Eau 

    Le texte ci-dessous est issu de deux ateliers sur la question de la gestion de l’eau animés par Réseau Salariat, en 2022 à Penne, et en 2024 à Lescar Pau. Il s’inscrit dans  son « projet de mise en sécurité sociale de productions (et services) comme l’alimentation, le logement, l’eau, l’énergie, la culture… 1 »en commun de production, et commun territorial.

    *Il est soumis ici aux citoyens intéressés à finaliser une telle proposition pour l’eau , en s’inspirant du questionnement proposé dans " Régime Général:   pour une Sécurité Sociale de l’Alimentation" 2. : Qui travaille (l’eau ) et dans quelles conditions ?; qui possède les outils, les installations, les réserves, les sols et l’eau ?; qui décide, qui gouverne ? ; qui finance et à qui cela profite-t-il ?*

    A - Etat des lieux :

    On se référera aux très nombreux travaux de nombre d’organisations de recherche, de syndicats, d’associations d’usagers, de collectifs de lutte contre la privatisation de l’eau, sans pouvoir tous les citer 3 !

    1 - L’accés à l’eau cf. Le cycle de l’eau 

    La surface de la « planète bleue » est constituée à 70% d’eau.

    L’eau salée des océans en constitue presque 97%, et l’eau douce 2% (stockée en glaces 1,8% et eaux souterraines 0,9% …) non salée, consommable (la ressource précieuse). L’eau des rivières et des lacs représente le reste 4.

    L’évaporation des océans et des continents (43,6 et 6,4 1013 Tonnes /an respctt ) pleut à 80% sur les océans et 20% les continents…

    20% des précipitations rejoignent les rivières, 9% des pluies s’infiltrent dans les nappes.

    Pour la France, du fait de la forte part des importations de nos produits, 80% de l’eau que nous consommons est une consommation étrangère.

    Et, sur la période où la population du globe a doublée, la consommation d’eau est passée de 1 à 6. 5

    Vitale, l’eau est partout, nous en sommes constitué à environ 66% et sans eau nous ne pouvons vivre plus de trois jours. Elle est « insubstituable ».

    Les usages de l’eau sont : l’agriculture (dont l’irrigation),l’eau potable, l’industrie, les services (dont le commerce d’eau en bouteille),  etc…le refroidissement des centrales nucléaires ! 

    2 - Le Petit cycle de l’eau : de la ressource au robinet puis au milieu naturel.

    C’est le captage de l’eau à partir de puits, nappes phréatiques (parfois fossiles), retenues, rivières…, puis sa potabilisation, sa distribution (EP) et la collecte et l’épuration des eaux usées (EU) puis rejet dans le milieu, enfin la collecte séparée des eaux de pluies.

    B - Le Droit à l’eau ?

    Simone Weil la philosophe, nous dit que le « droit » est constitué en fait d’une somme d’obligations : le droit est pour les autres que moi, le droit des autres m’oblige… 

    L’eau est ainsi un Commun, ce qui affirme son caractère inappropriable et notre obligation politique à son égard, selon Laval et Gardot 6. En effet, plus encore que pour les autres communs, nous citoyen-nes, usagères, consommatrices de l’eau, sommes tous impliqué-es, de la source au robinet , pour son économie, pour son partage égalitaire et sa gestion, pour sa sauvegarde en qualité et quantité. Dans cet esprit, nous nous proposons de contribuer de façon participative à mobiliser les citoyens pour le juste partage de l’eau, et pour des pratiques qui corrigent ces usages, pour plus d’économie et de qualité, pour assurer la survie de l’humain et de la biosphère .

    Le droit à l’eau a été institué par l’ONU en 2006 comme une victoire de l’humanité, avant de se concrétiser comme l’interdiction théorique de couper l’eau en cas d’impayé (encore faut-il avoir l’eau) , et le droit (pour les firmes) de la facturer « à un prix abordable »…

    L’eau trouve ainsi sa place dans de nombreux accords internationaux validés par l’OMC, sous l’influence de puissants lobbies convaincus de l’utilité de cette marchandisation de l’eau, dont un ex-président du FMI 7 , partisan des partenariats public-privé.

    Ricardo Petrella, parmi d’autres défenseurs historiques de notre Eau Commune, nous alerte sur le fait que depuis la COP 15 (copenhague 2009), ces institutions financières, en organisant la monétarisation des communs naturels, et en particulier l’eau, les décrètent appropriables 8.

    Le droit de l’eau ? Certains défendent l’eau en tant que telle et lui revendiquent des droits juridiques. Cette reconnaissance de personnalité juridique a été reconnue par la Nouvelle-Zélande, pour le fleuve Whanganui (2017).

    C - L’eau demain : les enjeux

    1 - S’adapter au changement climatique ?

    Avec le réchauffement climatique, nous observons une perturbation du processus de ce cycle. Une évaporation plus intense sur les océans (et les terres), des masses d’eau plus importantes donnant des pluies diluviennes voire catastrophiques, tombants sur des sols de paysages de plus en plus dénudés, incapables de stocker de telles masses (et de plus imperméabilisés par le bétonnage toujours croissant) et plus vite revenus aux cours d’eau et à la mer.

    Ce déficit d’eau pour les sols (eau verte) contribue à leur perte de fertilité, de biodiversité intrinsèque. (Emma Haziza, institut Maiane).

     “+4°c, il faut s’y préparer” entend-on dire chez nos gouvernants pourtant chargés d’abord de l’atténuer. Il s’agit d’un réchauffement du climat, avec ses conséquences catastrophiques déjà perceptibles par le déséquilibre des systèmes bioclimatiques. Il n’est pas acceptable de le laisser filer en croyant pouvoir s’y adapter à un niveau donné qui sera plus vite dépassé alors.

    2 - Globalement l’eau va donc être plus rare.

    Elle l’est déjà pour la moitié de la planète au moins. Trop peu est fait pour anticiper cette pénurie, et ses conséquences graves pour la vie, faute d’information/formation/éducation populaire, toutes et tous étant pourtant concernés, par nos habitudes, nos usages.

    Pour exemple, le bassin versant de l’Aude (11) bénéficiait d’un excédent de 50mm en 1990 (apports-usages), il est aujourd’hui déficitaire de 100mm. 9

    Cette pénurie est visible dans nos principaux fleuves. Comment demain refroidir nos centrales nucléaires (Bugey, Villeneuve d’Agen, Tricastin…) et de futurs EPR ?

    Dans ce contexte, l’arbitrage entre nos différents usages de l’eau est critique aujourd’hui. la socialisation de l’eau est une urgence.

    D - La gestion de l’eau : Publique ou privée !

    En France comme en Europe, le service de l’eau est payant et géré comme une activité industrielle et commerciale par un EPIC (Etablissement Public d’une commune ayant pour but la gestion d’une telle activité de service). 

    « L’eau paie l’eau » nous dit-on. Qu’en est-il réellement ?

    Cette gestion des services de l’eau potable aux usagers s’est mise en place progressivement, à l’origine par une régie directe, (le modèle français comme celui de la plupart des pays européens). Aujourd’hui interdite par les règlements de la Commission européenne, les élus qui ont la responsabilité de cette gestion, doivent constituer soit à une régie autonome, qu’ils président, ou encore une régie publiqueà personnalité morale ; soit à une entreprise commerciale à qui elle confie le service en affermage ou en concession. C’est la Délégation du service public au privé (DSP) .

    Dans ce cas, le choix de l’entreprise se fait par appel d’offre. Il se réduit  à choisir entre les trois  holding privés 10 qui se répartissent les terrains, exploitent nos réseaux pour facturer l’usager et rémunérer leurs actionnaires.

    La CGE (devenue Véolia) a été constitué par des entrepreneurs privés sous Napoleon 3. Elle gére entre autres les grandes villes (l’eau de Rennes jusqu’en 2014). La gestion par Délégation du Service Public représente en France près de 60% des usagers pour la distribution de l’eau, et 40% pour les eaux usées. Les régies publiques communales ou intercommunales (70% des communes) assurent le reste. Le service des DSP est facturé en moyenne 20% plus cher que celui des régies.

    Concernant les pratiques de ces holding (Suez - Veolia 11, et Saur racheté par EQT infrastructure  un fonds de pension suite à une LBO), nous renvoyons ici aux nombreux collectifs (Eau secours, Eau Bien Commun, …) et aux élu-es des opérateurs publics réuni-es dans la FEP (france-eaupublique.fr…) qui les dénoncent depuis des dizaines d’années…

    La liste est longue de ces pratiques : les holding font des offres alléchantes aux grosses communes, et récupèrent leur marge sur les petites communes (selon rapport de la Cour des comptes de 2012). Elles facturent des travaux qui tardent à venir, voire ne les réalisent pas, bloquant l’éventuel remise en concurrence du contrat etc… Stratégiquement, ces holding visent le développement de technologies de traitement et ou filtration contre la dépollution des eaux brutes, (voire le dessalement de l’eau de mer etc…), plutôt que les actions pourtant moins coûteuses visant la prévention de la qualité de ces eaux brutes, enjeux de luttes citoyennes

    I - L’injuste facture de l’eau :
    1 - En amont, du « pollueur = payeur » on est passé au « pollué = payeur » 

    La pollution de l’eau dans le grand cycle de l’eau, c’est celle des sols, qui fournissent entre 65 et 80% (selon les références) de l’eau potable en France, et celle des rivières: par l’excès d’azote, les pesticides (et leurs dérivés) utilisés en cultures céréalières, et aussi par les effluents d’élevage et de nos villes…, les déchets plastiques qui se retrouvent dans les cours d’eau, et celle des des matériaux des conduites d’eau elles mêmes réalisées en plastique dans les rénovations des années 2000 (… à vérifier) pour réduire les fuites.

    A noter que la pollution par le système de production agricole (et son système économique), dure depuis longtemps, et n’est pas de la seule responsabilité des cultivateurs en place aujourd’hui,..

    Face à cette situation, c’est une politique de soins palliatifs qui domine largement (Cf la conférence gesticulée d’Aurel 12 (et les travaux d’A. Roussary, Sociologue ) 13 C’est un paradoxe : on surveille une qualité potable de l’eau au robinet, en absence de la prévention de la qualité de l’eau “à la source”, quand il faudrait par exemple instituer une agriculture bio sur les zones de captage et au delà… Les aides sont injustement réparties selon les types d’agriculteurs, leurs pratiques : d’une part celles de la Politique Agricole Commune (PAC) concernant la lutte contre l’excès d’azote par les mesures agro-environnementales, d’autre part celles des agences de l’eau contre les pesticides et le changement des conduites plastiques, et rien pour les agriculteurs engagés en Agriculture Biologique…

    2 - Au robinet, un prix de prix du m3 de l’eau tout aussi injuste :

    Il est lié au contexte local, défini pour une commune ou une intercommunalité, sans mutualisation au delà.

    Il est généralement dégressif du fait du poids de l’abonnement  qui s’impose à tous dans le tarif : ainsi, un abonnement EP et EU de 100€, rend deux fois plus cher le m3 pour un usager économe (20m3) que pour un usager dépensier ( >200m3).

    Dans cet exemple d’une petite commune qui a délégué sa gestion en DSP, cet abonnement est intégralement empoché par la holding, pourtant en gestion mixte, avec la communauté de commune, alors que les installations sont la propriété de cette collectivité, qui assure l’investissement et en dernier ressort la responsabilité de l’entretien.

    Dans le précédent contrat, le délégataire dont le prix de l’eau était excessif, avait convaincu l’édile de contribuer au budget de l’eau à partir du budget municipal, pour une facture allégée de l’usager.

    Plus récemment, après avoir déplacé les compteurs des usagers sous la rue, il leur propose de s’assurer contre les fuites de ces compteurs, auprès d’une société filiale, alors que chacun l’est déjà par l’assurance logement obligatoire…

    3 - L’état se sert sur la trésorerie des agences de l’eau

    Dans cette petite commune, 17% de la facture sont constitués de taxes payés à l’état (7% TVA) et à l’agence de l’eau 14 (10%).

    Et au niveau national , les taxes payées aux agences de l’eau pèsent de fait à 86% sur les ménages, 10% sur les industriels et 4% sur les agriculteurs.

    Ajoutons à cela que les Agences de l’eau financent l’O.F.B., l’Office Français de la Biodiversité, l’Office National de la forêt, l’Office National de la Chasse, et depuis peu les MAE mesures Agro-Environnementales, et aide encore au financement des 2000 bassines en cours de réalisation ou en projet, …

    4 - Les holding internationales

    Elles versent des dividendes par le profit qu’elles tirent de cette facturation de l’eau du robinet, dont leur service n’est pourtant pas la totalité. Via les taxes à l’agence de l’eau, elles se font financer la promotion de ce qu’elles appellent le « modèle français », le leur, pour leur implantation à l’international (loi Oudin-Santini).

    5 - Un tarif social de l’eau ?

    En cas d’impayé, des délégataires privés se permettent encore de couper l’eau, ce qui est interdit (loi Brotte depuis 2013), ou de réduire le débit, ce qui est contre la jurisprudence.

    Pour les usagers en difficulté, pour régler leur facture d’eau, le recours au Fond de solidarité Logement est proposé, mais il n’assure pas d’une prise en charge, et certains départements accordent l’aide du FSL à la condition que le demandeur reçoive la prime d’activité. Il faudra payer la facture pourtant bien plus injuste pour les petits consommateurs que les gros, et attendue toujours plus élevée… ? Est-ce cela la preuve de la responsabilité du citoyen vis à vis de notre eau commune ?

    Nos élus se sont-ils tous ralliés au principe de la responsabilisation de chacun-e par la facturation de notre eau commune quoi qu’il en coûte ? Non évidement… Mais on est surpris de recevoir un document flatteur pour de notre délégataire,  Suez, qui se propose d’aider les nécessiteux à payer leur facture…sans offrir une quelconque solution pérenne à l’insolvabilité des usagers concernés…

    II - Les travailleurs de l’eau invisibilisés ? 

    Les métiers de l’eau sont nombreux et variés, dans les entreprises de travaux, les sociétés de gestion, les centres de recherche, les administrations, les agences, les sociétés de conseils, les syndicats de communes, les observatoires de l’eau, l’agence de santé publique… tout comme les qualifications qui concernent (entre autres) la santé (dt eaux de baignade), l’environnement sur la qualité des eaux, la planification de l’eau et des milieux aquatiques, la pêche et l' aquaculture en eau douce, les aides et redevances, les services publics de l’eau et de l’assainissement, la réglementation des usages de l’eau, la police de l’eau et de la nature, la protection et la préservation du milieu marin, les Installations classées pour la protection de l’environnement, l' hydrométrie et la prévision des crues, l’évaluation et la gestion des risques d’inondation…

    Ces travailleur-ses salarié-es (ou indépendant-es, de plus en plus), spécialistes, expert-es, conseiller-es, formant un ensemble expérimenté sur toutes ces questions, sont-ils vraiment associé-es à la gouvernance de l’eau ?

    Il faut ici souligner un point fort du statut des salarié-es de la gestion du service public eau potable dans les collectivités qui en ont la charge. Que les élus choisissent (au gré de leurs mandats) de déléguer ce service public à une régie publique, ou à une holding internationale, le ou la salarié-e peut rester en poste et ainsi changer d’employeur sans changer de statut. Il-elle garde son contrat de travail avec ses acquis.

    D’ailleurs, depuis le début des années 2000 mais avec une grande difficulté pour déployer cette revendication, la CGT propose la création d’un statut unique pour tou-te-s les salarié-e-s en France, afin de déconnecter les droits aujourd’hui attachés au poste de travail dans l’emploi (droit au salaire, droit à la protection sociale, droit à la retraite, droit à la formation…) afin de les attacher à la personne pour émanciper les travailleurs-euses du lien de subordination à un employeur et de la dépendance aux logiques et aux aléas du marché (marché du travail ou des biens et services). Cette émancipation considérable, à travers ces nouveaux droits déconnectés de l’emploi, permettrait ainsi aux salarié-e-s de redéfinir le contenu de leur travail, son organisation, ses objectifs et les moyens mis en œuvre pour les atteindre… Tout en se libérant du chantage à la dette et à l’emploi (qui sont deux des principaux piliers sur lesquels repose la domination capitaliste sur le travail de nos jours). Par ailleurs, la CGT Suez Eau France revendique, sur la base de cette revendication confédérale d’un Nouveau Statut du Travail Salarié (NSTS), un statut unique pour les agents de l’eau, sur les mêmes modalités donc, pour socialiser l’économie de la gestion de l’eau au sein de caisses gérées par les salariés, les usagers et les acteurs locaux (collectivités, agences de l’eau, etc) et ainsi libérer des griffes de la marchandisation et de la course au profit ce service public et la gestion professionnelle de cette ressource essentielle à la vie.

    L’échec fréquent des actions menées par les collectifs-eau pour convaincre les élu-es de passer le service public de la gestion de l’eau en régie ne vient-il pas en partie du fait qu’ils-elles n’ont pas assez associé les travailleurs-ses des nombreux métiers de l’eau, seuls vrai-es connaisseur-ses des pratiques, des technologies et des limites, des enjeux, des rapports de force.. ? Pas seulement…

    E - L’opposition public-privé une impasse ?

    Des communes ont œuvré pour une gestion plus sociale de l’eau :

    Avant tout le retour en gestion publique avec d’autres avancées sociales :

    - des m3 gratuits  (10 m3pour le bassin rennais depuis 2015 et pour Est Ensemble, depuis 2024, 15m3 à la métropole de Montpellier depuis 2023) pour chaque compteur avec un prix/m3 progressif au delà.

    - des tarifs qui s’ajustent au type d’usage : service public, industriel, agriculteur, artisan…

    - des abonnements réduit pour les résidents, mais plus élevé pour les résidences secondaires,

    - un chèque eau pour les plus faibles revenus,

    - des fontaines d’eau potable pour les SDF…

    Mais cette gestion publique reste toujours en suspens.

    Certes, face à la privatisation rampante de notre eau commune que facilite le transfert de la compétence Eau aux communautés de communes, la gestion en Régie serait au moins en progression dans les grandes villes… Elle reste cependant une solution précaire : sa pérennité dépend des majorités électorales ; ainsi qu’adviendra-t-il de la régie de Paris ou de celle de Lyon, Montpellier, Grenoble Marseille, si la majorité actuelle acquise de haute lutte tombe en 2026 ?

    Au delà de la gestion commerciale et communale, sans cesse menacée d’être « confiée » aux holdings privées avides de dividendes, quelles propositions sont apparues comme alternative dans la durée ?

    La FGSCOP (Fédération générale des Scop ) et la FNCUMA (coopératives d’utilisation du matériel agricole) mettaient en débat en 2013 le recours à la SCIC 15 pour la gestion de l’eau, suite aux travaux de recherche de J. Huet (CG_Scop) : « Ce statut a le mérite…de décloisonner par son multi sociétariat les rapports établis jusqu’à présent, il fait bouger les lignes classiques et historiques : privé-public, salarié-client, producteur-utilisateur. Il a le mérite d’impliquer et de responsabiliser toutes les parties prenantes dans un projet collectif. C’est bien ce qui fait la différence de ce statut par rapport aux autres statuts coopératifs 16 ».

    Marc Laimé 17, jean-Luc Touly 18, de la défense de la gestion publique participent à la reflexion  (cf Actes) …Benoit Borritz en fait l’éloge en 2015  : Vers une gestion coopérative de l’eau) .  « les rapports de coopération sont supérieurs aux rapports marchands et les seuls capables d’apporter des solutions à la crise sociale et écologique que nous connaissons….la nécessité de construire des règles de gestion associant différentes parties prenantes » . Il voit dans la SCIC une  troisième voie qui « internalise le conflit, au sens de différence de point de vue, existant entre ces différentes parties. Il n’y a plus un « maître » mais des « maîtres ». C’est une construction très différente de la gestion directe et de la gestion déléguée classique. » L’idée est donc de pratiquer une « délégation coopérative de service public » : au lieu de confier la gestion de l’eau à une société privée, une SCIC associant au minimum la collectivité locale, les usager-es et les salarié-es serait en charge de celle-ci. On ne peut qu’approuver un tel schéma qui s’inscrit dans une logique de passage « du public au commun »2).  ».

    Une SCIC pour la gestion de l’eau pourrait assumer contractuellement cette fonction, par délégation du service public et sur la durée de 20 ans (ou plus selon avis du contrôle public). Il s’agirait de répondre à l’ appel d’offre d’une communauté ou syndicat de commune pour la gestion de l’eau avec comme « sociétaires » :

    • les salarié-es porteurs des savoir-faire et connaissances de l’eau et ses enjeux,
    • les communes, propriétaires des investissements et apportant ainsi ce patrimoine en tant que « capital»,
    • les différents types d’usagers représentés à proportion,
    • des producteurs du territoire dont les pratiques impactent la qualité de l’eau…

    Cela semble aussi solide que les arguments d’une régie publique, ou une SPL (cf Rennes)…et plus crédible que ceux des holdings spécialisées. Mais selon les experts engagés dans ce sens, il faudrait faire évoluer la législation pour rendre acceptable une telle candidature aux appels d’offres de nos élus… 

    Ces conclusions de Jean Huet rejoignent celle d’Aurélie Roussary et al (cf13) qui recommandent dans les mêmes années 2010 ce type de structure de coopération impliquant économiquement tous les acteurs pour s’engager dans la prévention de la qualité de l’eau plutôt que d’en rester aux soins palliatifs.

    Une SCIC sur ce modèle s’est depuis effectivement mise en place à Rennes « Terres de sources, pour un nouveau modèle agricole » regroupant  les partenaires de l’écosystème : 70 producteurs, 18 transformateurs, 7 collectivités territoriales, 7 associations et 2 financeurs.

    « Le rôle principal de la SCIC rennaise est de labelliser les fermes Terres de Sources et d’assurer des débouchés rémunérateurs à leur produits : cantines ou restaurations collectives, transformateurs, magasins spécialisés, restaurants, détaillants ou surfaces alimentaires généralistes. » 19*

    « Parce que la reconquête de l’eau et de l’environnement est l’affaire de tous, cette société compte à sa création 105 associés, répartis dans 6 collèges, à savoir : les producteurs, les transformateurs, les collectivités, les associations de consommateurs ou de protection de l’environnement, les salariés et les partenaires financiers. Cette gouvernance garantit la pluralité des visions et la volonté de construire ensemble un nouveau modèle agricole et alimentaire, sortant ainsi des confrontations corporatistes habituelles. »

    F - l’eau au Régime général

    Pour reprendre et compléter les conquis des citoyens (gratuité & tarif progressif à Rennes…), la proposition de la gestion globale de l’eau par une entreprise pluri-acteurs type SCIC de la fédération occitane des scop (J.Huet), une proposition similaire soutenue par ailleurs pour la prévention de la qualité (A.Roussary et al….), et « déjà là » par l’existence de  la SCIC bretonne « Terre de sources », et la proposition de la CGT 74 (Y. Perez) d’une Sécurité Sociale Professionnelle, avançons une alternative non capitaliste à l’actuelle gestion de l’eau, injuste, dispendieuse et palliative pour sa qualité. Nous proposons d’intégrer l’eau, ses usages et ses métiers, facteurs déterminants de notre santé et de notre survie, dans un dispositif économique complet s’inspirant du Régime Général de la Sécurité sociale.

    I - une Sécurité Sociale de l’Eau construite comme un « Commun territorial » pour une gouvernance coopérative de l’eau: avec

    1- Une cotisation Eau issue d’un prélèvement sur la valeur ajoutée de toutes les entreprises.

    Cela peut être dans un premier temps une augmentation de la « cotisation » de nos employeurs à l’actuel régime général, alimentant

    2- une Caisse de Sécurité Sociale de l’Eau constituée par la fédération de caisses locales (communautés de communes) , départementales, et caisses régionales, ces dernières se substituant pour partie aux Agences régionales de l’eau,

    3- permettant de facturer un prix de l’eau avec une mutualisation entre territoires au niveau le plus large.

    4- La gouvernance est partagée, associant les usagers, les salariés des métiers de l’eau et les élus,

    5- avec à débattre une majorité absolue au collège des salariés des différents secteurs.

    6- Une facture intégrant la gratuité de l’eau vitale : 15 M3 ou plus à débattre, garantis (selon le nombre d’usagers par compteur et selon le type d’usager … ) avec un tarif progressif au delà.

    5- Un conventionnement des entreprises du secteur de l’eau, qui leur permet de bénéficier du financement des salaires des travailleurs, du fonctionnement et des investissements de l’eau pour sa protection en amont et son service en aval.

    II - Un conventionnement des entreprises chargées de la gestion de l’eau 

    Des entreprises indépendantes où on s’assure un homme/femme = une voix comme les SCOP et les SCIC, associant les différents acteurs et des salariés représentés majoritairement à l’assemblée générale de la SCIC et dans tous les collèges qui seraient constitués pour la gouvernance (à débattre).

    • Une absence de rémunération d’actionnaires, quels qu’ils soient (à débattre)…
    • Une comptabilité qui exclut le profit et intègre les coûts des ressources naturelles, et humaines, à conserver et/ou à restaurer en amortissement (cf méthode CARE). 20
    • Une reconnaissance par les élus locaux qui confient de fait les installations de la protection/production/distribution/épuration en copropriété d’usage,
    • la participation active des usagers à la gouvernance,
    • à compléter…
    III - Une SSE pour de nouvelles pratiques de l’usage de l’eau, respectueuses de la ressource :
    1Pour l’eau potable et l’assainissement :

    - La reprise des eaux grises,

    - la collecte des urines pour épandage,

    - le développement des toilettes sèches, etc (cf conférence Water-causette : https://www.youtube.com/watch?v=Iv5QUkJ2aU0).

    - la mise en place de réseaux d’eau non potable (nettoyage en villes, industries…).

    - la récupération des eaux de pluie avec la perméabilisation des sols en ville, en zones commerciales etc (pavés plus que goudron qui fond),

    - la rationalisation des usages industriels de l’eau …

    - à compléter…

    2 - Pour la prévention de la qualité de l’eau,

     par de nouvelles pratiques réduisant drastiquement

    - les pesticides et autres polluants et les plastiques (cf. association Tervid’Hom pour le Gave de Pau) etc..

    - les ruissellement et l’érosion qui en résulte par le ravinement, qui réduit l’humidification des sols et la reconstitution des nappes phréatiques

    - les cultures irrigués spéculatives comme le maïs et ses bassines artificielle

    - à compléter…

    3 - Pilotage démocratique pour l’arbitrage entre les différents usages de l’eau…

    Pour la socialisation de l’eau, au niveau national, régional et local, la mise en Sécurité sociale de l’Eau avec sa carte Vitale Eau est un moteur fabuleux pour « assurer » collectivement tous ces changements urgents et permettre le partage juste de l’eau et de son prix.

    Une étape concrète vers la SSE serait de travailler à lever les obstacles institutionnels et idéologiques à la constitution de coopératives ou SCIC pour répondre aux appels d’offre de communautés de commune pour la gestion de l’eau, avec leur participation comme apporteurs de l’actif de la société (les investissements communs de l’eau déjà réalisés sont propriétés des communes ou communautés de communes).

    Pour conclure, il nous reste à nous engager dans l’expérimentation de ces pistes, pour contribuer à «  l’ici et maintenant alternatif » comme nous y invite Bernard Friot 21 :

    « La montée en puissance du remplacement de la production capitaliste par une production communiste suppose la conjonction de la multiplication d’expérimentations locales et de leur inscription dans des institutions macroéconomiques en mesure d’éviter marginalisation ou récupération par les groupes capitalistes de l’ici et maintenant alternatif  ».

    -—————————————————————————————————-

    1 - In D Bachet & B Borrits « Dépasser l’entreprise capitaliste », introduction générale de B Friot. Ed° Le croquant.

    2** -** Kevin et Eva dans « Régime Général » : pour une sécurité sociale de l’Alimentation ed° Riot

    3 - Des institutions dont Eau France, rapport sur les services SISPEA :des expertises, dt https://www.cerema.fr/fr/cerema, des publications telles « E comme eau publique » et « D comme droit à l’eau » de V Ribière & G Amard ed° Bruno Leprince, Les publications et lettres des collectifs Eau secours, Coordination iledeFrance, …et autant de sites Attac, Eau secours 29, Eau bien commun, Collectif Eau (88, 35, …), Kirikou 31, Eau d’Alet, etc

    4 - JL. Escudier ECCLA 11 et Pierre Thomas (Ens Lyon et www.planete-terre)

    5 - (Emma Haziza, institut Maiane).

    6 - Commun, Essai sur la révolution au 21ème siècle. Ed° La Découverte

    7 - cf. Martine Bullard  Monde Diplo janvier 2005

    8 - https://agora-humanite.org/cop15-biodiversite-et-financiarisation-de-la-nature/

    9 - P.Cluzel SMMAR / réunion ECCLA Mars 2024 à Bages 11100.

    10 - entre autre https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/veolia-suez-feu-vert-sous-conditions-de-la-commission-europeenne-1372546

    11 - https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/veolia-suez-feu-vert-sous-conditions-de-la-commission-europeenne-1372546

    12 - Texte intégral au chapitre 9 de https://scholarvox.library.omneseducation.com/catalog/book/docid/88915728?

    13 - A. Roussary « De l’eau potable au robinet ? » Ed° l’Harmattan 2013 et sa Thèse au Cemagref : Quelle recomposition de la gouvernance de la qualité de l’eau potable en France ? Le gouvernement par la responsabilité et l’exigence de résultat en question.

    14 - Les six Agences de l’eau françaises sont des établissements publics du ministère du développement durable chargés de mettre en œuvre dans les sept bassins hydrographiques métropolitains, les objectifs et les dispositions des schémas d’aménagement et de gestion des eaux (plans de gestion français de la directive cadre sur l’eau) et de leur déclinaison locale par bassin versant, en favorisant une gestion concertée, équilibrée et économe de la ressource en eau et des milieux aquatiques, l’alimentation en eau potable, la régulation des crues et le développement durable des activités économiques (article L213-8-1 Code de l’environnement ; Loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 - article 82). Elles exercent leurs missions dans le cadre de programmes d’actions pluriannuels dont l’objectif doit être l’atteinte du bon état des eaux. La loi Grenelle 1 a fixé comme objectif d’avoir deux tiers des masses d’eau en bon état dès 2015

    15 - Société Coopérative d’Intérêt Collectif pour « la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale ».

    16 - Actes de la journée « utiliser le statut SCIC peut-il changer la gestion de l’eau ?» https://www.les-scic.coop/system/files/inline-files/LES_ACTES_-_Cooperation_et_eau_-_16_juillet_-_CG_Scop.pdf

    17 - journaliste spécialisé et conseil sur les politiques publiques de l’eau auprès de collectivités locales.

    18 - Porte parole de l’Association pour le Contrat Mondial de l’Eau.

    19 - Notons ici le parallèle avec le projet de conventionnement de producteurs et transformateurs dans le projet plus global de la sécurité Sociale de l’Alimentation.

    20 - Jacques Richard « Révolution comptable ; vers une entreprise écologique et sociale », in « Dépasser l’entreprise capitaliste » cahiers du salariat ed° le croquant 2022)

    21 - idem 20 : « Introduction générale. »

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