Automnales2021 - Atelier 6 - Foire aux questions

02/11/2021     GROUPE THÉMATIQUE ECONOMIE DU SALAIRE À VIE

    Automnales2021 - Atelier 6 - Foire aux questions

    Automnales de Réseau salariat 2021, du 30 octobre au 1er novembre 2021, à Lille, organisées par le groupe local Nord – Pas-de-Calais, sur initiative du groupe thématique économie du salaire à vie.

    Foire aux questions1

    Cet atelier est une foire aux questions autour des précédents ateliers, permettant à tou·te·s les participant.e.s aux automnales de demander des éclaircissements, de soulever des questions, d’opposer des objections, de faire des remarques, d’avancer des propositions, etc., en lien avec les ateliers précédents. Au moins un.e intervenant.e de chaque atelier antérieur est présent.e, face à l’assemblée, pour recevoir les questions et y répondre : Bernard Q. (GT économie) ; Christine (GS femmes) ; Chrystelle (GT SSA) ; Guillaume (GT économie) ; Laura (GS femmes) ; Xavier (GT économie).

    Bernard F. – Serait-il possible d’approfondir la notion de travail pour autrui ?

    Christine. – Nous parlons de travail pour autrui par opposition au travail pour soi, parce que c’est lorsque le travail est effectué pour autrui qu’il peut y avoir exploitation : il semble compliqué d’imaginer que l’on puisse s’exploiter soi-même en effectuant un travail pour soi. Dans le cas du travail domestique, il s’agit d’un travail gratuit ; et d’un travail pour autrui, car effectué par les femmes, pour les hommes. Que te dire de plus ? Quelle est ta vraie question ?

    Bernard F. – Tout travail gratuit pour autrui implique-t-il exploitation ?

    Christine. – Je répondrais plutôt oui, dès lors que ce travail gratuit s’inscrit dans un mode de production : l’autrui pour lequel on travaille gratuitement est alors le représentant d’une classe, et il y a donc exploitation.

    Bernard F. – Je ne comprends pas cette distinction entre travail pour soi et pour autrui, parce que les deux me semblent toujours mêlés : lorsque j’effectue mes travaux domestiques, c’est toujours à la fois pour moi et pour autrui. Mais je serais plutôt d’accord pour dire qu’il y a exploitation dès lors que le travail s’inscrit dans le cadre d’un mode de production. Peux-tu préciser ce que cela veut dire qu’un travail soit effectué dans le cadre d’un mode de travail ?

    Christine. – Dans le travail domestique, il est possible de distinguer une activité qui est effectuée pour autrui et une activité qui est effectuée pour soi. Par exemple, si tu vis seul, c’est seulement pour toi que tu effectues ton travail domestique, que tu te fais à manger, et pas pour autrui.

    Bernard F. – Tout ce que je fais à une incidence sur autrui. Si je me fais à manger, ce n’est pas seulement pour moi : c’est aussi ce qui me permettra d’être plus tard disponible pour autrui dans telle activité, par exemple pour pouvoir discuter avec autrui sans avoir faim, et pouvoir ainsi être attentif à ce qu’autrui me dit. Mais je ne veux pas monopoliser la parole.

    Xavier. – Est-ce que le travail domestique pourrait entrer dans la production d’une unité de production (UP) ?

    Christine. – Oui, le travail domestique pourrait être la production d’une UP. Certaines féministes disent que la famille est une « usine sociale » : c’est un lieu de production, au même titre que n’importe quelle unité de production.

    Xavier. – Nous hésitons encore sur la délimitation de ce qui est une UP et ce qui n’en est pas une : si la famille est une UP, alors chaque personne devient une UP, et c’est peut-être gênant… Julien. – Est-ce seulement et nécessairement le patriarcat qui est à l’origine des rapports de domination dans la répartition du travail domestique ? Car les colocataires et les couples homosexuels ont aussi des problèmes de répartition des tâches domestique. Il pourrait ne pas y avoir de domination patriarcale, et y avoir tout de même des problèmes domestiques.

    Christine. – Il y a bien sûr des inégalités de répartition des tâches domestiques dans les couples homosexuels ou entre des colocataires. Mais le système patriarcal est quantitativement beaucoup plus important à cet égard. Surtout, il domine, et tout est fait pour lui : la vie en couple, la famille, le mariage sont à dominante hétérosexuelle, sont majoritairement hétérosexuels, et sont configurés pour l’hétérosexualité, laquelle est une construction sociale qui sert le patriarcat. Tout l’appareil idéologique (éducation, etc.) est mis en place pour que le couple hétérosexuel soit la forme dominante de la famille, parce que la procréation est un enjeu du patriarcat – à côté de cet autre enjeu qu’est le travail.

    Johanna. – Je voudrais revenir sur ce que Bernard disait : tout ce que je fais pour moi est toujours aussi pour autrui. Car tout comportement, même effectué a priori pour soi, s’inscrit dans un rapport social : pour reprendre l’exemple de Bernard, si je me fais à manger, cela me permettra de mieux m’investir dans les rapports sociaux que j’aurai par la suite. Le plus important n’est donc pas de savoir si ce que l’on produit (par exemple : faire à manger pour quelqu’un) est bon ou mauvais en soi, mais plutôt si l’on est capable de décider de ce que l’on produit, d’être souverain sur la production.

    Laura. – Je suis d’accord. La question est toujours de savoir comment on définit le travail, et ce qui est du travail. J’ai tendance à considérer que tout est travail ; car, dès que l’on délimite ce qui est du travail et ce qui n’en est pas, on invisibilise du travail. C’est pourquoi le féminisme me semble très intéressant, parce qu’il considère des formes de travail qui ne sont pas que des tâches concrètes et quantifiables : la charge mentale, le travail émotionnel, le travail de la conversation, etc.

    Xavier. – Si tout est travail, alors toutes nos activités créeraient de la valeur économique. Je comprends bien que, si l’on délimite ce qui est du travail et ce qui n’en est pas, alors il y a un risque d’invisibiliser du travail. Mais mettre tout ce que nous faisons dans l’ordre de la valeur économique peut poser problème : cela ne serait-il pas une économisation du monde semblable à la marchandisation actuelle ? Il faut des espaces de libertés dans lesquels ce que nous faisons ne soit pas lié à une valeur économique.

    Laura. – Mais, si l’on pose que tout est travail, et que l’on adopte un salaire unique, alors on se libère de beaucoup de questions pénibles et complexes : on peut travailler les rapports de pouvoir ailleurs que dans le travail et le salaire, et dans tout ce qui se joue ailleurs.

    Bernard F. – Je ne peux laisser sans écho la proposition tout est travail. Non, pas du tout ; tout n’est pas travail. Et c’est décisif. Il faut faire la distinction entre l’activité et le travail, et entre le travail concret et le travail abstrait. Ce que le capitalisme fait du travail est tel que l’on peut préconiser une société sans travail, ce qui revient à une société dans laquelle tout est travail, puisqu’il s’agit d’une société qui ne distingue pas activité et travail, et qui confond travail abstrait et travail concret. Or, cette tentation est une démission collective : faire l’éloge de l’activité, de la réaction ici et maintenant à notre environnement immédiat, contre le travail et l’organisation macro-économique de la production, c’est renoncer à notre responsabilité en tant qu’espèce humaine. Le travail abstrait dans le capitalisme est anthropologiquement désastreux, certes, et ceci vient de ce qu’il produit de la valeur économique uniquement pour produire de la valeur. Mais le travail abstrait est aussi ce qui mobilise la science, la technologie, et toute notre capacité réflexive collective, à une échelle internationale de division du travail, qui est nécessaire pour remplir notre mission d’espèce : nous extraire de la sélection naturelle. Tout n’est pas travail, non. Si, par exemple, je retape tout seul une annexe de ma maison, de mon mieux, au jour le jour ; alors ce n’est pas du travail. Si je passe par une entreprise pour faire restaurer ma maison, alors c’est du travail, ce qui signifie entre autres que l’activité de restauration sera régulée par le droit du travail. Si tout est travail, de nombreuses activités resteront hors du travail du travail…

    Christine. – Sauf que la distinction entre travail concret et travail abstrait ne s’applique pas au travail domestique, puisqu’il est invisibilisé et gratuit. Pourquoi ton activité de restauration de ta maison ne serait-elle pas du travail ? La question se pose. Quant à ce que tu dis du droit du travail, c’est un autre problème. Le droit du travail ne s’applique pas au domicile, sauf accord du propriétaire pour que l’inspection du travail puisse venir. Si le travail domestique déroge ainsi au droit du travail commun, c’est en raison de la distinction entre sphère privée et sphère publique, qui est une construction sociale. Cette distinction pose problème aux féministes sur la question du travail domestique. Et, en même temps, j’entends bien que l’on tienne à sa sphère privée, que l’on ne veuille pas que l’inspection du travail (ou autre) vienne y mettre son nez. Comment, donc, sortir de ce dilemme ? Que faire de la sphère domestique ?

    Bernard F. – Je propose de faire la distinction entre travail et activité, et de décider collectivement, au terme d’une délibération collective, tout ce que l’on fait entrer dans le travail, et tout ce que l’on laisse hors du travail et de la valeur économique. C’est ce je que disais ce matin, en avançant l’idée d’une sécurité sociale du travail domestique : il faut absolument faire entrer dans le travail une partie du travail domestique, mais pas tout le travail domestique.

    Christine. – Mais qui financera ta sécurité sociale du travail domestique ? Avec le travail domestique, on est dans un autre système d’oppression qu’avec le capitalisme : le patriarcat, qui implique d’autres classes sociales. Pourquoi, donc, la sécurité sociale du travail domestique serait-elle financée collectivement, par toute la population ? Je ne pense pas que l’on puisse transposer le modèle de Réseau salariat au patriarcat, alors qu’il a été élaboré pour un autre système d’oppression. Il faut inventer autre chose, qui soit adapté aux problèmes posés par ce système d’oppression.

    Bernard F. – Je ne crois pas qu’il faille faire une spécificité du travail domestique : la classe ouvrière a réussi à retirer le travail de soin de la sphère domestique, quoique mal, en le confiant à des femmes, etc. On y est déjà arrivé pour le soins ; on peut y arriver pour une partie du travail domestique. Il n’y a pas d’essence du travail domestique.

    Christine. – Oui, c’est vrai.

    Alexandre. – Je voudrais apporter quelques éléments que la démocratie économique nous permettrait de délibérer et de décider sur la question de la reconnaissance du travail domestique. Pour le moment, dans les travaux du GT économie, nous avons exclu le foyer de la définition d’une UP. Mais la question se pose, et on pourrait permettre à la démocratie économique de définir ce qu’est une UP. Alors, si la démocratie économique décide qu’une famille peut se constituer comme UP, cela ne veut pas nécessairement dire qu’y aurait obligation pour toute famille de se définir comme UP : le choix serait laissé à chaque famille. Par ailleurs, il y a les délibérations des jurys de qualification. Le premier niveau de qualification reconnaît qu’on est tou·te·s créateur·trice·s de valeur économique. Mais l’évolution du niveau de qualification dépend en partie du travail concret passé, et les jurys de qualification pourraient décider que le travail domestique fasse partie des critères d’évolution du niveau de qualification. Enfin, le salaire unique se ferait-il avec ou sans hiérarchie des niveaux de qualification ? Ce qui importe est de pouvoir distribuer la production. Si on maintient un salaire, c’est que l’on utilise entre autres la monnaie pour distribuer la production. Comment organiser cette distribution dans le cadre d’un salaire unique ? Si, inversement, on garde une hiérarchie des salaires, cela signifie que, du fait de leur contribution à la production de valeur, certaines personnes ont droit à plus que d’autres, ont un plus grand droit de tirage sur la production. Comment gère-t-on cela ? Y a-t-il d’autres moyens ?

    Jean-Marc. – Pourquoi, dans l’atelier salaire à la qualification personnelle et féminisme, n’y a-t-il pas eu de temps de restitution des réflexions que nous avons eues en petits groupes : chaque groupe a eu des idées, des propositions, et fait des remarques sur le travail domestique, qu’il aurait pu être intéressant de partager avec tout le reste de l’assemblée. Au final, à quoi ces réflexions ont-elles servi ?

    Laura. – Nous avons fait ce choix pour des questions de temps, pour laisser plus de temps aux réflexions en petits groupes. C’est une réflexion en cours, et nous vous invitions à la partager et à vous y engager. Mais tu peux toujours partager tes idées, si tu le veux.

    Jean-Marc. – Vous parliez d’instituer une UP dans la vie de couple. En plaisantant, j’ai dit : autant faire une fiche de fonction dans le contrat de mariage ! Dans mon couple, on a vécu vingt ans ensemble, on se répartissait les tâches, et on n’a jamais eu de problème de domination homme-femme.

    Bernard F. – Enfin, c’est l’homme qui dit ça… Excuse-moi, mais je pense que tu as tort.

    Laura. – Il faut bien clarifier de quoi nous parlons et où nous nous situons : ce que nous vous avons présenté se place au niveau de la société, et c’est pourquoi nous avons cité des statistiques ; nous n’interrogeons pas les individus, et, là, tu nous partages ton expérience individuelle. Ce que tu nous dis est possible, mais, statistiquement, c’est le contraire qui se passe au niveau de la société.

    Christine. – Les deux temps de réflexion en petits groupes étaient une manière pour nous de vous faire parcourir l’état de notre propre réflexion, de façon à ce que vous puissiez vous rendre compte de ce que nous estimons être un problème : le patriarcat. Il s’agissait à la fois de vous présenter ce qu’est le patriarcat, pourquoi nous mettons l’accent dessus, et le lien de nos questionnements féministes avec les questions liées aux critères de qualification ; et de mettre en débat les propositions du groupe femmes, qui sont encore en cours de construction.

    Catherine. – Je voudrais redire ma difficulté à entendre le mot classes pour parler des relations hommes et femmes dans le patriarcat. Quand on parle de classes, on parle d’une exploitation objective des travailleurs par les capitalistes ; alors que les relations entre les hommes et femmes, dont le patriarcat, varient selon les personnes individuelles et les cultures, ce qui n’est pas objectif. Je ne nie pas l’existence des ces rapports de domination, ni que ce soit un problème : je dis seulement que cela me dérange d’appeler cela classe, comme si c’était un problème objectif.

    Christine. – Si nous parlons de classes, c’est parce que nous estimons que le patriarcat est un régime d’exploitation. Or, dès qu’il y a exploitation, il y a des classes. Il est certain que ce qui domine aujourd’hui soient les classes sociales : la classe du salariat et celle des capitalistes. Mais cela ne signifie pas que d’autres classes et d’autres systèmes d’oppression n’existent pas.

    Catherine. – Pour pouvoir parler de classes, il faudrait que les hommes aient au départ un désir de soumettre les femmes. Or, je ne crois pas que ce soit le cas, et ce n’est du moins pas leur premier objectif. Ce qui n’empêche pas que ce soit souvent un résultat.

    Laura. – Eh bien nous ne sommes pas d’accord.

    Arthur. – Comment le GT SSA se positionne-t-il par rapport aux travaux du GT économie ?

    Chrystelle. – Nous y travaillerons dans les prochains jours : nous resterons ici deux jours de plus après les automnales pour en discuter, avec les membres présents du GT SSA et du GT économie, et tou·te·s ceux·celles que cela intéresse pourront se joindre à nous.

    Julien. – Je vois bien une différence entre le travail pour soi et le travail pour autrui, mais elle n’est pas nette ; c’est un continuum, c’est-à-dire que rien n’est entièrement pour soi ou pour autrui, il y a seulement des travaux qui sont plus pour soi que pour autrui, et inversement. Et de même pour la distinction entre sphère privée et sphère publique : ce qui a lieu dans l’une a une portée dans l’autre. Pour autant, il ne faut pas que tout le monde puisse intervenir dans la sphère privée de chacun.e. À cet égard, de même qu’il permet à chaque personne de dire non à un poste de travail, le salaire à vie offre une indépendance économique qui permet à chaque femme de dire non à un couple : ceci ne résout pas le problème, mais c’est un outil de lutte très puissant.

    Christine. – Oui, bien sûr, et nous l’avons dit. Mais ce n’est pas suffisant, parce qu’il y a des formes d’aliénation qui font qu’il est plus difficile de quitter un conjoint, même violent ; et parce que la question reste entière : qui fait le travail domestique ? Comment l’organiser ?

    Julien. – D’accord, mais, dans l’atelier que vous avez animé, vous avez dit que l’on ne pouvait pas s’attendre à une répartition égale des tâches domestiques entre hommes et femmes. Or, on ne peut nier qu’il y a une évolution positive ces dernières décennies sur cette répartition.

    Christine. – Pour l’instant, non : les chiffres de l’INSEE montrent que les hommes n’assument aujourd’hui en moyenne que quelques minutes de plus de travail domestique qu’il y a trente ou quarante ans. Et c’est sans parler de la division sexuée du travail interne au travail domestique, qui fait que les hommes cuisinent et bricolent plus qu’ils ne font le ménage ou ne s’occupent des enfants.

    Julien. – Dans les relations de genre, la sphère privée sera la dernière à être touchée par la démocratie. Mais, une fois que le salaire à vie la touchera, il changera énormément de choses.

    Christine. – Il faut l’espérer.

    Yann. – Suite au premier confinement, vous avez identifié les professions dites essentielles, et si mal rémunérées et dévolues aux femmes racisées. Vous avez proposé de les placer tout en haut de l’échelle des salaires, puisqu’elles sont essentielles. Qu’en est-il à ce jour de cette proposition ? Sur la question de savoir s’il faut un salaire unique ou une échelle des salaires, je me demande si nous ne tournons pas en rond, si la décision sur le travail ne résoudrait pas la question. Car, s’il y a une délibération et une décision démocratiques sur ce que nous produisons et comment, ne s’ensuit-il pas presque naturellement des qualifications, puisque nous jugerions ce qui est essentiel et ce qui l’est moins ? Il me semble que nous sommes trop rivés sur le salaire, et ne considérons pas assez la démocratie, la décision sur la production : comment discutons-nous ?, comment décidons-nous ?, etc.

    Christine. – Sur ta première question, c’est l’une des options avancées au sein du groupe femmes de payer plus les travaux des femmes dits essentiels. Il y aurait une échelle à deux niveaux, qui ferait que les femmes seraient mieux payées que les hommes, notamment sur ces travaux-là.

    Laura. – Cette proposition peut d’ailleurs être une stratégie syndicale pour aujourd’hui : se battre pour inverser la hiérarchie au sein des conventions collectives et dans la fonction publique. Ceci rendrait ces professions plus attractives, puisque mieux payées. C’est important, car toutes ces tâches, essentialisées comme féminines, sont dévalorisées en tant que telles. Or, cela ne signifient pas qu’elles soient nécessairement ingrates, inintéressantes, ou dévalorisantes.

    Guillaume. – Pourrait-on imaginer que, dans une société du salaire à vie, on soit obligatoirement affecté à des tâches non-qualifiées, c’est-à-dire qu’elles soient tournantes ?

    Christine. – Il ne va pas de quoi que le travail domestique soit non-qualifié, quoi que tu veuilles dire par là… Quoi qu’il en soit, ceci ne résout pas le problème du travail domestique, parce qu’il a lieu dans la sphère privée : ta proposition peut être applicable dans la sphère professionnelle, mais beaucoup plus difficilement dans la sphère privée, où il reste à trouver un moyen de vérifier que le travail domestique soit fait alternativement par un homme et par une homme. C’est toute la difficulté posée par la distinction du privé et du public : à la fois, il y a des choses qui doivent rester privées ; et, à la fois, le privé n’est jamais seulement privé, est toujours aussi public et politique.

    Laura. – Je pense qu’il ne faut pas négliger l’importance de l’éducation : la révolution, les transformations sociales passeront aussi par l’éducation, et non seulement par le salaire.

    Tristan. – Dans le salaire à vie, on se demande toujours qui va faire le sale boulot.

    Laura. – Le groupe femmes a écrit un texte sur cette question, à l’été 2019 : « … Mais, à l’avenir, qui va faire le ménage et ramasser les poubelles ? ». Nous y remarquions que la question est posée pour le futur, sans que l’on s’offusque jamais de savoir qui le fait aujourd’hui à l’échelle de la société. Le faire conduirait à articuler les trois systèmes de domination : capitalisme, patriarcat, racisme.

    Tristan. – Moi, je fais une tâche ingrate dans mon travail à EDF, je suis bien payé pour la faire, et j’ai choisi de la faire.

    Laura. – J’ai beaucoup de mal avec cette idée de choix : nous sommes des individus pris dans une société, dans des rapports de domination et d’aliénation, capitalistes, patriarcaux et racistes ; nos choix ne sont-ils pas alors tout relatifs dans un monde à ce point surdéterminé ?

    Julien. – Je dirais que l’important est, non de savoir si on choisit ou non, mais si on a l’impression de subir ou de ne pas subir la situation dans laquelle on se trouve.

    Christine. – On parle à cet égard de travail à temps partiel subi ou choisi. Mais cette distinction est foireuse : les femmes ont tellement intériorisé le fait que le travail domestique leur incombe, qu’elles pensent choisir de travailler à temps partiel, disons à 80 %, c’est-à-dire d’être moins payées, de se faire exploiter et de gagner 40 % de retraite en moins quand elles seront plus âgées. Aujourd’hui, compte tenu de ce que Laura vient de dire, la distinction entre choisi et subi est toute relative.

    Julien. – Oui, mais les changements politiques se font en fonction des désirs des personnes : pour qu’il y ait changement, il faut qu’elles aient l’impression de subir leur situation ; sinon, quoiqu’on leur dise, elles ne se mobiliseront pas. Ce qui importe est donc de donner à ces personnes des outils quand elles veulent s’émanciper, non de leur dire ce qu’elle doit faire, ce qui serait paternaliste.

    Suzanne. – Je voulais revenir sur ce qui a été dit tout à l’heure sur le « sale » boulot : quand on se demande qui l’effectuera dans une société du salaire à vie, ce n’est pas du tout une façon de se poser la question uniquement pour le futur en se moquant de savoir qui le fait aujourd’hui. C’est au contraire parce que l’on regarde la situation présente et que l’on estime que les personnes qui effectuent ces tâches aujourd’hui ne le font le plus souvent que parce qu’elles y sont contraintes, qu’alors on se demande comment organiser ces tâches une fois que le salaire à vie lèvera la contrainte. Ce n’est que parce que cela nous pose un problème aujourd’hui que nous posons la question pour le futur.

    Laura. – Quand je disais qu’on s’en moque, j’entendais un on plus large que les personnes ici présentes. Et cet on est aussi syndical : il y a beaucoup de travail à faire syndicalement sur les représentations, les prises de conscience et les luttes liées aux dominations raciales et genrées. C’est intéressant de proposer que certaines tâches soient tournantes. Mais attention à ne pas supposer un peu vite que ces tâches ne nécessitent aucun savoir-faire, que chacun sait s’occuper des enfants, ou être aide soignant: il y a le risque de ne pas reconnaître en tant que tel un savoir-faire professionnel.

     

     

    1 Ce compte rendu a été établi à partir de notes prises sur le vif durant l’atelier, nécessairement partielles et incomplètes.

    Des codes temporels vous permettront de vous référer à l’enregistrement complet de l’atelier.

    Ca pourrait vous intéresser ...