Automnales2021 - Atelier 1 - Présentation générale de l économie du Salaire a Vie

02/11/2021     GROUPE THÉMATIQUE ECONOMIE DU SALAIRE À VIE

    Automnales2021 - Atelier 1 - Présentation générale de l économie du Salaire a Vie

    Automnales de Réseau salariat 2021, du 30 octobre au 1er novembre 2021, à Lille, organisées par le groupe local Nord – Pas-de-Calais, sur initiative du groupe thématique économie du salaire à vie.

    Présentation générale de l’économie du salaire à vie

    Atelier animé par Xavier, du groupe thématique économie du salaire à vie.

    Durée : 1h30

    Matériel : PC + grand écran.

    Méthode : lecture et commentaires du texte et du schéma ci-dessous, diffusés sur grand écran1.

    Nos deux points de départ :

    1. La création-destruction monétaire.

    2. Le modèle économique de B. Bony (modèle officiel de Réseau Salariat, brochure « Caisses

    d’investissements et monnaie »).

    La création-destruction monétaire :

    Nous avons d’acord étudier le mode de création-destruction monétaire capitaliste, avant d’imaginer un modèle adapté à l’économie du salaire à vie (SàV). Cette approche nous a peu à peu amenés à reconsidérer les travaux de B. Bony dans la brochure « Caisses d’investissements et monnaie ».

    Le modèle économique de B. Bony :

    Le modèle de B. Bony repose sur le déjà-là institué par le salariat durant le XXe siècle. Il généralise le salaire à vie et le cycle cotisation-subvention.

    Il y manque cependant un mode de calcul des prix.

    Quant à la création monétaire, elle n’est pas explicitée. Nous savons seulement qu’elle est opérée ponctuellement par les caisses d’investissement quand les cotisations ne suffisent pas à financer les subventions. La création monétaire, quand elle a lieu, a donc pour but le financement de la production.

    De ce fait, ce modèle reproduit le schéma fondamental du capitalisme :

    ** \ Production de la valeur ajoutée** → ***Répartition de la valeur ajoutée***.

    Le caractère révolutionnaire de ce modèle est que la valeur ajoutée n’y contient que du salaire.

    Il n’y a plus de profit. Mais nous sommes toujours dans cette logique d’un salaire qui résulte de la valeur ajoutée produite, et non d’un salaire qui s’affirme comme valeur ajoutée en tant que tel.

    Le financement de la production n’est pas nécessaire :

    Nos travaux nous ont conduits à estimer que le modèle de B. Bony est un modèle anticapitaliste, c’est-à-dire qu’il se réfère encore au capitalisme à travers les outils de financement de la production que sont la cotisation, la subvention et les caisses d’investissement, outils qui opèrent actuellement dans le capitalisme en vue de le contester et sont immensément émancipateurs.

    Nous considérons que ces outils sont des outils anticapitalistes, et non communistes, c’est-à-dire qu’ils ne sont nécessaires que durant la phase actuelle de lutte pour sortir du capitalisme.

    Cette affirmation est le résultat d’une réflexion sur la notion de « financement ». Nous en sommes venus à réfuter la nécessité de financer la production, et ce quels que soient les outils employés.

    Nous pensons que cette nécessité est une fiction du mode de production capitaliste et qu’une économie SàV devra s’en débarrasser, notamment pour éviter le retour des prêteurs.

    En conséquence, le modèle que nous proposons écarte tout processus de financement de la production. Il n’a donc besoin, ni de cotisation, ni de caisses d’investissement.

    L’un des enjeux de cette présentation sera donc d’expliquer pourquoi le financement de la production n’est pas nécessaire.

    Rappels :

    1. Notre modèle se situe dans une économie où le SÀV est institué. Nous qualifions cette économie de communiste, car ce droit politique au salaire doit nécessairement s’accompagner de la suppression de la propriété lucrative des moyens de production.

    2. Le SàV n’est pas seulement un droit politique au salaire, il est aussi un droit de copropriété d’usage des moyens de production et un droit de codécision dans les institutions du travail.

    3. Notre postulat est que seul le travail produit de la valeur. L’économie SàV supprime donc le profit et fait du salaire la seule forme de rémunération.

    4. Les producteur·trice·s actuellement payé·e·s par l’impôt le seront désormais par les caisses de salaires. En conséquence, l’impôt disparaît. Toutes les institutions du travail sont désétatisées.

    Raisonnement :

    Puisque 1) seul le travail produit de la valeur ;

    Et puisque 2) tous les salaires sont versés par les caisses de salaires ;

    Et sachant que 3) tous les « investissements » ne sont que du travail, et du travail déjà payé ;

    Alors 4) il n’y a rien à financer, donc pas de cotisation, pas de subvention, ni de « caisses d’investissement », mais des comités ou assemblées, disséminés à travers tout le territoire, qui orientent et organisent la production et la division du travail ;

    Donc, 5) la monnaie de l’économie du SàV ne finance pas la production. C’est une monnaie distributive, c’est-à-dire une monnaie dont la seule fonction est de répartir la production à prix.

    Postulats pour la création-destruction monétaire en économie S à V :

    1. Du fait que seul le travail produit de la valeur (et du fait que nous supprimons le profit), la somme de tous les prix doit correspondre à la somme de tous les salaires.

    2. Cette nécessité implique le maintien de l’équilibre entre création monétaire (somme de tous les salaires) et destruction monétaire (somme de tous les prix de vente).

    3. Il faut donc concevoir des cycles où création et destruction monétaire soient à l’équilibre.

    Déroulement d’un cycle de création-destruction monétaire :

    1. création de la monnaie par la caisse centrale ;

    2. versement de la monnaie par la caisse centrale aux caisses de salaires ;

    3. distribution de la monnaie par les caisses de salaires sous forme de salaires à tou·te·s les producteur·trice·s ;

    4. achat de la production à prix par les producteur·trice·s dans les lieux de vente de cette production ;

    5. reversement de cette monnaie aux caisses de salaires ;

    6. versement de cette monnaie par les caisses de salaires à la caisse centrale ;

    7. destruction de cette monnaie par la caisse centrale.

    Lissage des cycles :

    Les cycles de création-destruction monétaire nécessitent un lissage dans le temps et un lissage dans l’espace.

    Du fait que durant un cycle (par exemple : un mois) la somme des achats des producteur·trice·s ne correspond pas précisément à la somme des salaires (pour diverses raisons, comme l’épargne et les invendus), un lissage dans le temps est nécessaire.

    Du fait qu’un·e producteur·trice affilié·e à une caisse de salaires à Lille peut effectuer ses achats dans un lieu de vente à Bordeaux, un lissage dans l’espace est également nécessaire (défaut de reversement à Lille, excès de reversement à Bordeaux).

    L’équilibre global nécessite donc une caisse centrale sous contrôle des caisses locales. Cette caisse centrale n’est qu’un outil technique ; elle ne possède aucun pouvoir de décision politique.

    Productions intermédiaires et productions de développement :

    Les flux monétaires d’une unité de production (UP) à une autre ne sont pas nécessaires, de même qu’entre différents ateliers d’une même UP. Un suivi comptable est suffisant, l’important étant le transfert des valeurs économiques des productions intermédiaires et de développement dans le calcul du prix du produit fini. Aucune monnaie ne circule entre les UP.

    En conséquence, la monnaie ne circule que des caisses aux producteur·trice·s, de ces mêmes producteur·trice·s aux lieux de vente de la production à prix, et de ces lieux de vente aux caisses de salaires, pour destruction.

    Les caisses import-export et l’internationalisme :

    Les échanges à l’international sont nécessaires, car nous ne disposons pas de toutes les matières premières ni de l’exhaustivité du travail concret. Ils sont aussi et surtout souhaitables : au-delà de la production, l’échange a aussi une dimension politique. Nous voulons promouvoir la coopération et partager les principes de notre modèle au-delà de nos frontières nationales.

    Nous devons donc prévoir des modalités techniques et politiques en vue de procéder à nos échanges avec d’autres nations :

    → Techniques : notre monnaie étant distributive, il convient de mettre en place les dispositifs nécessaires pour assurer les échanges monétaires avec des pays dont la monnaie est réserve de valeur.

    → Politiques : nous devrons certainement adapter nos institutions (unités de production, comités économiques, etc.) à l’international et définir une stratégie visant à répondre aux pratiques internationales hostiles ou bienveillantes à l’égard de notre modèle.

    Ce travail est en cours, mais permet déjà d’affirmer la nécessité de l’équilibre de notre balance commerciale en devises.

    Plasticité de ce modèle économique :

    Le cadre ainsi posé, notre modèle peut prendre différentes formes :

    - Il peut fonctionner avec diverses échelles de salaires ou sans échelle de salaires (salaire unique).

    - Il peut s’adapter à différentes proportions entre la production à prix et le reste de la

    production (distribuée sans échange monétaire).

    - Il peut également s’adapter à la diversité des territoires et des chaînes de production en configurant son réseau de comités d’après leurs fonctionnements pratiques ou en raison de principes politiques jugés nécessaires par cette société.

    - Il est ouvert à la recherche et à l’innovation, sous contrôle démocratique.

    Autres aspects :

    Nous avons identifié certaines difficultés relatives au maintien de l’équilibre entre création et destruction monétaire. Il s’agit notamment de l’épargne et de la production à prix qui ne trouve pas preneur : toute monnaie, toute partie des salaires qui n’est pas dépensée correspond à une production à prix qui n’est pas vendue, puisqu’il y a égalité entre la somme des salaires et la somme des prix. De même, des questions se posent concernant la revente des produits dits « d’occasion ».

    Nous invitons nos camarades à rejoindre notre groupe pour approfondir ces questions ou d’autres. De nombreuses annexes restent à produire, par exemple au sujet de la démocratie économique ou de la comptabilité d’une UP.

    SchemaGeneralDeLEconomieDuSalaireAVie01

    Discussion avec l’assemblée2

    Daniel. – Peux-tu revenir sur la nécessité d’un équilibre dans le temps entre création et destruction monétaire ?

    Xavier. – Certaines chaînes de production sont assez longues, nécessitent beaucoup de productions intermédiaires avant que le produit soit finalement conçu, arrive sur un lieu de vente et soit vendu. La production du produit final peut donc dépasser la durée d’un cycle monétaire, durer plusieurs mois. Cela veut dire que, pendant plusieurs mois, des salaires sont versés, de la monnaie est créée, sans être encore détruite, puisque le produit final n’est pas encore vendu et que la monnaie n’est détruite que par la vente d’une production à prix. Il faut donc s’assurer que toute la monnaie créée chaque mois revienne finalement aux caisses pour être détruite. Ce lissage dans le temps est assuré par les caisses de salaires et la caisse centrale, ainsi que par la formule de calcul des prix.

    Erratum. – Ce qui est ici décrit ne vaut que s’il y a un financement de l’investissement et des échanges monétaire inter-UP, et ce fut-là l’une des raisons qui nous conduisirent à abandonner la subvention de l’investissement et à remplacer les échanges monétaires inter-UP par des échanges de productions avec un simple suivi comptable. En effet, nous proposons (cf. atelier suivant) de calculer les prix à chaque cycle de façon à équilibrer la totalité des prix de vente à la somme des salaires : par construction, la totalité des prix de vente pratiqués durant un cycle inclut ou correspond à la totalité des salaires versés durant ce même cycle. S’il doit y avoir un décalage dans le temps, c’est par exemple parce qu’une partie de la population ne dépense pas tout son salaire, et qu’il y a donc des invendus.

    Anne. – Comment une unité de production (UP) fonctionnerait-elle, concrètement ?

    Xavier. – Des personnes cherchent à monter une boulangerie : elles créent une UP, en relation avec un comité économique. Cette boulangerie a maintenant besoin d’un local ; de productions intermédiaires, par exemple : de farine ; et de moyens de production, par exemple : d’un four à pain. La boulangerie obtient un local auprès d’une collectivité qui gère les locaux professionnels sur un territoire délimité, et avec laquelle le comité économique l’aura probablement mise en relation. Si aucun local adapté n’est disponible, le comité économique peut décider, en concertation avec la collectivité en question, de la construction d’un local. Pour ce qui est des productions intermédiaires, le comité économique peut éventuellement mettre cette boulangerie en relation avec des fournisseurs. Quoi qu’il en soit, la boulangerie passe directement commande de farine auprès d’une autre UP, sans que le comité économique n’ait son mot à dire. Cette autre UP fournit la farine à la boulangerie, sans qu’aucune monnaie n’intervienne dans cet échange. Il n’y a qu’un suivi comptable : le fournisseur de farine calcule et indique à la boulangerie la valeur économique de la farine fournie, pour que cette valeur soit incluse dans le prix du pain qui sera produit avec cette farine et vendu par la boulangerie.

    Si cette boulangerie a besoin d’un four à pain, elle en fait la demande à un comité économique, comme elle aurait fait une demande de subventionnement auprès d’une caisse économique dans le modèle de B. Bony. Si la demande est validée par le comité, alors la boulangerie se fournit auprès d’un fournisseur, sans échange monétaire : de nouveau, il n’y a qu’un suivi comptable de la valeur économique du four, pour l’inclure dans le prix du pain. Le calcul des prix qui sera présenté dans l’atelier suivant inclut un dispositif d’amortissement socialisé de la valeur du four.

    Cette boulangerie fabrique son pain, puis le vend. Elle reverse alors la totalité de la monnaie issue de ses ventes à une caisse de salaires, pour destruction monétaire.

    Anne. – À partir du moment où la valeur économique est comptabilisée, il y a une unité de compte monétaire. Je ne dirais donc pas qu’il n’y a pas d’échange monétaire entre UP.

    Xavier. – Oui, il est nécessaire d’avoir un suivi de la production, pour identifier les problèmes et agir en conséquence. Cela se fait notamment par un suivi comptable. Surtout, il est nécessaire d’effectuer un suivi comptable du travail effectué en vue de la production du produit final, pour que tout ce travail soit inclus dans le prix du produit final : quand on achète un produit, on achète tout le travail social moyen qu’il contient, et seulement ce travail – pas de profit. Il y a donc un transfert de valeur économique sous forme comptable, qui suppose une unité de compte.

    Chrystelle. – Est-ce donc dire qu’il y a deux monnaies : une monnaie pour verser les salaires, et une autre monnaie pour les échanges entre entreprises, pour la production ?

    Xavier. – Non, il n’y a qu’une seule monnaie, celle qui est créée pour verser les salaires : la monnaie salaire à vie. Le suivi comptable des échanges inter-UP se fait en termes de cette monnaie, sans que celle-ci soit présente réellement : la boulangerie ne verse aucune monnaie à son fournisseur de farine, ou à son fournisseur de four, ou pour son local. Elle ne reçoit de monnaie que de ses clients, par la vente de ses baguettes et de ses croissants, et elle renvoie cette monnaie pour destruction. Il n’y a donc bien qu’une seule monnaie. La seconde monnaie dont tu parles, pour le suivi comptable, est la même que la première ; la seule différence est qu’elle ne fait pas objet d’un réel échange. Les UP ne s’échangent pas cette unité de compte : elle n’apparaît que dans les registres de comptabilité. Autrement dit, le transfert de valeur économique entre UP est un échange monétaire en ce sens qu’il fait intervenir une unité de compte pour le suivi, mais il ne l’est qu’en ce sens : cette unité de compte n’est pas une monnaie intermédiaire d’échanges que la boulangerie devrait avoir en caisse en quantité suffisante pour acheter de la farine ou un four, qu’elle dépenserait, et dont elle pourrait manquer.

    Question. – Quelle est la répartition des comités économiques ?

    Xavier. – Faut-il des comités économiques répartis uniquement sur le critère géographique, c’est-à-dire organisant des productions diverses dont le seul point commun est d’être effectuées dans le même secteur géographique ? Est-il judicieux d’avoir des comités économiques organisant une chaîne de production entière, c’est-à-dire toutes les productions d’une branche d’activité disséminées sur le territoire ? Je crois qu’il faut des comités économiques petits et gros. Peut-être que les productions qui sont naturellement en réseau, comme le transport ferroviaire, doivent relever d’un comité économique de branche. C’est à trancher, et cela doit relever de la démocratie économique. Notre modèle présente la plasticité nécessaire pour accueillir toutes ces possibilités.

    Éric. – Les comités économiques ne vont-ils pas brider la recherche et l’innovation ?

    Xavier. – Je pense que c’est tout l’inverse, qu’il y aura beaucoup plus de recherche dans les UP qu’actuellement, parce qu’il n’y aura plus besoin de posséder de capitaux pour innover, ou à en demander à des banques d’affaires qui jugeront uniquement le projet sous le prisme de la rentabilité, sans aucune considération pour l’utilité sociale de l’innovation. Pour cette raison, il y aura beaucoup plus de recherche fondamentale, par exemple. Tout le monde pourra donc se lancer dans des projets d’innovation. Mais, par ailleurs, un contrôle démocratique de l’innovation est absolument nécessaire. Je ne vois pas d’où viennent ces inquiétudes sur la question, mais elles seraient légitimes : il faut absolument qu’il y ait de la recherche et de l’innovation. Je veux donc bien qu’on me les explique précisément.

    Jean-Marc. – Puisque la partie des salaires qui n’est pas dépensée est de la monnaie qui n’est pas détruite, la monnaie n’est-elle pas réserve de valeur ?

    Xavier. – Oui, toute épargne est de la réserve de valeur : c’est de la valeur pour plus tard. Or, la valeur économique est uniquement le travail, et la monnaie n’est qu’un outil pour reconnaître le travail d’autrui, ce n’est qu’un rapport social pour l’échange ; elle n’a ou ne contient aucune valeur. Mais il est culturellement ancré en nous que la monnaie serait réserve de valeur, que le billet de 50 € vaudrait 50 €, contiendrait et conserverait une valeur économique de 50 € – comme la pièce d’or valait réellement

    la valeur qui était inscrite sur elle. Culturellement, on tient aussi les biens pour réserves de valeur : on achète une voiture et une maison, et on les revend, comme si elles avaient une valeur économique, la contenaient et la conservaient. Or, rien n’est réserve de valeur, puisque seul le travail produit de la valeur économique. Ce qui a de la valeur économique, ce n’est pas le bien acheté, c’est le travail. Il faut donc trouver des outils techniques pour que rien ne soit réserve de valeur : ni la monnaie, ni les biens. Nous y réfléchissons encore. On pourrait déterminer collectivement un seuil d’accumulation de monnaie, – c’est-à-dire une certaine proportion entre la masse monétaire et l’épargne totale, – au-delà duquel on estime qu’il y a un problème, à identifier, et qu’une décision collective doit être prise. Si le problème vient de ce que trop de monnaie a été créée, et que la population ne peut pas la dépenser, alors on pourrait décider de réduire l’échelle des salaires. Ce peut aussi être un problème de production : les personnes auraient bien voulu dépenser, mais la production ne leur convenait pas. Ce thème de la réserve de valeur soulève de nombreuses questions, dont celle d’un marché de l’occasion. Il est souhaitable qu’un bien puisse avoir plusieurs utilisateurs successifs, ne serait-ce que pour des raisons écologiques. Mais comment organiser cela pour sortir l’occasion de la revente d’un bien qui serait réserve de valeur ?

    Erwan. – Aujourd’hui, le prix d’une voiture est en général supérieur au montant d’un salaire mensuel, et l’on doit épargner pour s’en acheter une. Si on ne veut pas d’épargne, parce que cela ferait sortir la monnaie du cycle de création-destruction, est-ce que cela signifie que tout ce qui est vendu doit l’être à un prix inférieur au montant d’un salaire mensuel, pour que l’on n’ait pas besoin d’épargner pour acheter quoi que ce soit ? Et, sinon, comment gère-t-on la distribution de biens dont la production nécessite un travail valant plus qu’un mois de salaire ?

    Xavier. – L’atelier suivant, sur le calcul des prix, répondra à cette question. Mais tout bien est vendu à prix coûtant, c’est-à-dire en intégrant tout le travail nécessaire à sa production ; et, quand le prix d’un bien excède un mois de salaire, un système d’avances et d’avoirs permet de l’acheter.

    Hélène. – Qu’il y ait une hiérarchie des salaires ou un salaire unique, le salaire à vie n’est touché que par les personnes majeures. Or, il doit servir à la consommation d’un foyer, qu’il y ait un ou dix enfants, ou aucun. La qualification prend-elle donc en compte le nombre d’enfants ?

    Xavier. – Il y a un déjà-là : les allocations familiales de 1946.

    Hélène. – Oui, mais il n’en est pas fait mention dans votre schéma.

    Xavier. – Effectivement, et il faudrait y réfléchir. Ça n’y apparaît pas, parce que, quelle que soit l’orientation qui est prise au niveau de l’association sur cette question, cela ne changera rien de décisif dans notre modèle. Nous proposons un cadre technique qui permet cette souplesse.

    Bernard Q. – À mon avis, il y a deux solutions : soit faire commencer le salaire à vie dès la naissance, soit mettre en place un système d’allocations familiales. Les deux solutions sont compatibles avec notre modèle. Nous n’y avons pas encore réfléchi, mais c’est un point important, et il faudra bien l’aborder à un moment ou un autre.

    Hélène. – Il y a une troisième solution : prendre en compte les besoins dans la qualification, et faire fluctuer la masse monétaire en conséquence, c’est-à-dire calculer les prix en fonction des besoins. Les prix seront-ils donc fonction uniquement de la valeur-travail, ou bien aussi des besoins de la population couverte par cette valeur-travail et par la masse monétaire correspondante ?

    Xavier. – Nous y reviendrons dans l’atelier sur le calcul des prix, mais le principe directeur de ce calcul est que la somme des prix soit égale à la somme des salaires. Si, donc, ces salaires comprennent de la production reconnue pour les enfants, celle-ci se retrouvera dans les prix.

    Éric. – Pour ce qui est de l’innovation, je comprends bien qu’il y en aura dans les UP. Par contre, si quelqu’un ou un collectif veut produire quelque chose de nouveau, il demandera l’aval d’un comité économique, et il faudra que celui-ci perçoive cette nouvelle production comme intéressante. Or, le propre de l’innovation est que l’on n’anticipe pas d’emblée ses usages et son intérêt.

    Xavier. – Il me semble que l’intervention d’un collectif démocratique (comité économique) pourra, certes, passer à côté d’innovations intéressantes ; mais elle pourra identifier les aspects nocifs d’une innovation, pour l’empêcher, bien mieux que la décision non-démocratique d’une banque d’affaires ou d’un investisseur privé, le comité décidant selon des critères écologiques, sociaux, etc.

    Éric. – Je suis d’accord que l’innovation n’est pas toujours positive. Mais, selon que l’on s’adresse au comité économique de Plougastel, ou celui Amiens ou de Grenoble, on pourra avoir une réponse favorable ou non, parce que tel comité y verra un intérêt, et tel autre non. Une personne devra donc faire le tour de tous les comités économiques jusqu’à recevoir une réponse positive…

    Xavier. – Il y aura évidemment la possibilité de s’adresser à plusieurs comités économiques, comme on peut aujourd’hui s’adresser à plusieurs banques pour un crédit d’investissement. J’ajouterai que, dans le capitalisme, l’innovation est quasi-nulle, rapportée aux désirs d’innovation des personnes, parce qu’il faut obtenir un crédit pour innover, et que, soit la banque refuse parce que l’on n’est pas solvable, soit on se retient de se lancer à cause du danger qu’il y a à s’endetter et à prendre le risque que l’entreprise échoue. Avec un comité économique, certes, il y a un filtre collectif aux essais d’innovation, qui empêche de faire ce que l’on veut dans son coin ; mais c’est une ouverture universelle, qui permet à tout le monde de se lancer dans l’innovation, et sans endettement.

    Benoît B. (Autogestion). – Je reviens sur la question de l’adéquation entre les versements des salaires et la vente de la production. Je ne crois pas qu’elle se résume au problème des produits invendus : il y en a un second, celui de la longueur d’utilisation des produits de consommation. Si j’achète une maison, elle doit durer au moins vingt ans avant que je ne la rénove. Cela coûte une certaine somme : peut-être aurai-je l’épargne pour l’acheter, ou peut-être me faudra-t-il passer par un crédit. Si jamais trop de personnes veulent souscrire un crédit pour acheter une maison, il faudra sélectionner celles à qui on accorde un crédit et celles à qui on le refuse. Ici, il serait utile de recourir au taux d’intérêt. Inversement, si les personnes gardent trop d’épargne en prévision d’achats futurs, alors on pourrait taxer l’épargne et inciter à plutôt emprunter maintenant, par un taux d’intérêt négatif qui jouerait comme subvention pour les crédits. Or, vous refusez par principe d’utiliser le taux d’intérêt. Pourquoi donc ? Celui que je propose n’opère qu’une sélection entre les individus, par rapport à leur soif de consommer ou non, et ne génère aucun profit privé, n’enrichit personne, mais seulement la collectivité.

    Xavier. – Je reconnais que, dès qu’il est question de taux d’intérêt, j’entends valeur économique qui correspond à autre chose que du travail : on invente de la valeur là où il n’y en a pas, parce qu’il n’y a pas de travail produisant cette valeur.

    Benoît B. – Tu dis que l’on peut contracter l’échelle des salaires, quand il y a trop de salaires par rapport aux ventes effectives. Mettre en place un taux d’intérêt négatif sur un compte bancaire est faire exactement la même chose. Sauf que, quand on le fait sur les salaires, la baisse et l’ajustement sont immédiats ; et, quand on le fait sur un compte bancaire, la baisse et l’ajustement se font dans le temps, c’est-à-dire que l’on incite les personnes à dépenser leur argent.

    Bernard S. – Je reviendrai sur l’innovation. J’ai travaillé quarante-deux ans dans l’industrie. Et, chaque fois que l’on pensait apporter une innovation pour améliorer les conditions de travail, on se demandait quelle en serait l’incidence sur l’emploi : dans le capitalisme, apporter une innovation, c’est retirer du boulot aux travailleur·euse·s. Si on inverse la tendance, l’innovation libère du temps. Il faut faire attention à ce qui était avant et ce qui peut être après cette innovation. Quant à ce que tu disais : que les caisses de salaires réduisent le rôle de l’État. Aujourd’hui, c’est le contraire : pour la première fois, en 2022, on aura vingt-huit pour cent de TVA dans le budget de l’État, dont on fait cadeau au patronat, et pris dans la poche des salariés. Il faut donc nous battre pour le salaire à vie, mais aussi nous battre tout de suite pour conserver ce qu’il y a déjà de salaire à vie. Autrement, nous serons plumés avant d’avoir un salaire à vie.

    Xavier. – Merci Bernard, mais tu poses une question de stratégie pour la lutte actuelle, alors que notre proposition porte sur la définition d’un horizon politique. Ce n’est pas une attitude utopiste : elle est complémentaire avec la lutte ici et maintenant, puisque l’horizon peut servir de boussole dans nos luttes actuelles, et que Réseau salariat se consacre aussi à des luttes présentes, par exemple avec la proposition de sécurité sociale de l’alimentation (SSA). D’ailleurs, la brochure de Bertrand Bony sur l’investissement présentait un premier horizon, que nous proposons de continuer et de modifier.

    Anne. – Sur le schéma, il y a une case production hors UP. Pourquoi n’y a-t-il aucune flèche de distribution qui parte de cette case vers les citoyen·ne·s-producteur·trice·s ? Même si je produis hors de toute unité de production, ce que je produis revient à quelqu’un : si je m’occupe de ma famille, ce n’est pas dans une unité de production, mais il y a un retour pour ma famille.

    Xavier. – Oui, on pourrait en mettre une. On me dit qu’il y en avait une, et qu’on l’a maladroitement supprimée en modifiant le schéma…

    Théo (IHT). – Il me semble que le déjà-là d’une monnaie qui serait uniquement distributive, et ne serait pas réserve de valeur, c’est la monnaie qui est sur la carte vitale : on ne peut, ni en manquer, ni l’accumuler, et tout le monde en a en fonction de ses besoins de soins et de médicaments. Reconnais-tu que cette monnaie-là est distributive, n’est pas réserve de valeur ?

    Xavier. – Je ne me sens pas capable de répondre, et je vais réfléchir à ta suggestion : le déjà-là de la sécurité sociale du soin ne se résumerait pas à la cotisation-subvention et au salaire à vie, mais serait aussi un déjà-là monétaire. J’ai une réticence, parce que la monnaie liée à la carte vitale a pour origine une création monétaire capitaliste : le cycle crédit-profit, et y retournera, puisque les pharmaciens,

    les kinésithérapeutes, le personnel hôspitalier, etc., la dépenseront dans le capitalisme. Alors que, dans la proposition monétaire pour la SSA que nous vous présenterons demain, c’est nous qui créerions la monnaie et maîtriserions cette monnaie. Par ailleurs, le secteur du soin est très particulier, si bien que la carte vitale n’a pas de plafond : on peut éventuellement avoir besoin d’opérations successives coûtant des millions d’euros, et toutes seront prises en charge et remboursées, tout le travail de soin sera payé. En matière de soins, il n’y a pas de limite, on ne peut pas définir un panier fini de soins. C’est toute la différence avec la SSA, où il y a une limite, parce que l’on peut définir un panier alimentaire fini pour chaque personne.

    Théo. – Il y a bien une limite dans la santé : c’est le montant des soins dont j’ai besoin pour guérir, et qui sont fixés par le médecin, le plus souvent par prescription.

    Xavier. – Je veux dire que l’on ne peut pas définir à l’avance un panier fini et affecter à l’avance un montant fini à chaque carte vitale, parce que l’on ne peut pas prévoir les soins qu’il faudra effectuer, ni, donc, leur montant. Mais j’ai besoin d’y réfléchir : tu me fais douter, et tant mieux !

    Françoise. – Je voudrais revenir sur la question de l’innovation. L’innovation, c’est ce qui est mis en oeuvre ; mais, avant l’innovation, il y a la recherche. Qu’en est-il de la recherche dans votre proposition ? Il faut un travail important, qui ne donne pas d’emblée des résultats.

    Xavier. – Ce que j’ai dit de l’innovation tout à l’heure s’applique aussi à la recherche. Je crois d’ailleurs avoir distingué recherche fondamentale et recherche appliquée. La recherche fondamentale relève des productions de développement et de la production finale sans monnaie. C’est à la démocratie économique de décider de la quantité de travail que l’on veut y consacrer : cette décision politique sera beaucoup plus entre nos mains qu’elle ne l’est actuellement.

    Xavier. – Pour conclure, je voudrais rappeler les éléments essentiels de notre proposition. Nous abandonnons toute institution de financement de la production, qui est inutile : pour produire, il n’y a besoin que de travail ; les investissements ne sont que du salaire et du travail, et ne nécessitent donc aucune monnaie supplémentaire aux salaires, déjà versés par création monétaire. En conséquence, nous abandonnons la cotisation, la subvention et les caisses de subvention, qui sont utiles et même nécessaires durant la lutte pour sortir du capitalisme, mais deviennent inutiles une fois la société du salaire à vie instituée. Il est même préférable de s’en passer, pour éviter tout retour des prêteurs, et, avec eux, du capitalisme : dès qu’il y a besoin d’avancer de la monnaie pour investir, il y a un risque que cette avance soit faite par crédit. Il n’y a donc pas de monnaie pour les échanges inter-UP : il n’y a qu’un suivi comptable. La monnaie est strictement distributive, ne sert qu’à distribuer la production, non à la financer. La monnaie est créée pour verser les salaires, et uniquement les salaires. C’est le salaire qui est premier, qui initie le cycle monétaire. C’est fondamental. Ceci modifie sensiblement les thèses officielles de Réseau Salariat, et appellerait à remplacer la brochure officielle Caisses d’investissement et monnaie. Mais c’est évidemment à l’ensemble de l’association de valider ces thèses et de décider de la rédaction d’une nouvelle brochure.Le prochain atelier portera essentiellement sur le mode de calcul du prix.

     

    1 Ce texte ne correspond donc pas exactement à ce qui a été dit, et que l’on peut entendre dans l’enregistrement joint.

    2 Ce compte rendu a été établi à partir de notes prises sur le vif durant l’atelier, nécessairement partielles et incomplètes. Des codes temporels vous permettront de vous référer à l’enregistrement complet de l’atelier.

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