Automnales2021 - Atelier 5 - Salaire à la qualification personnelle et féminisme

02/11/2021     GROUPE THÉMATIQUE ECONOMIE DU SALAIRE À VIE

    Automnales2021 - Atelier 5 - Salaire à la qualification personnelle et féminisme

    Automnales de Réseau salariat 2021, du 30 octobre au 1er novembre 2021, à Lille, organisées par le groupe local Nord – Pas-de-Calais, sur initiative du groupe thématique économie du salaire à vie.

    Salaire à la qualification personnelle et féminisme1

    Atelier animé par Christine, Isabelle et Laura, du groupe structurant femmes.

    Durée : 2h.

    Méthode : présentations à l’assemblée et échanges en petit groupe autour de textes.

    I – Présentation du groupe FEMMES et de l’atelier.

    Laura. – Le groupe femmes est un groupe structurant de Réseau salariat, fondé en 2016. Nous présentons ici un atelier sur salaire à la qualification personnelle et féminisme, en réponse à la demande faite par le groupe local Nord – Pas-de-Calais en réaction à la proposition de salaire unique.

    Isabelle. – Nous nous positionnons comme féministes matérialistes, c’est-à-dire que, – nous inscrivant dans la sillage de théoriciennes féministes matérialises telles que Christine Delphy, Colette Guillaumin, Paola Tabet, et Nicole-Claude Mathieu, – nous nous intéressons aux conditions matérielles d’existence des femmes et des hommes ; considérons que les différences entre les hommes et les femmes sont le fruit d’une construction sociale, plutôt que naturelles ; et posons l’existence de deux classes de sexe antagonistes, celle des hommes et celle des femmes, dont les intérêts divergents s’inscrivent dans des rapports de domination hommes-femmes donnant lieu à de l’exploitation, de l’oppression et de la domination.

    L’atelier est mixte. Cependant, parce qu’il est proposé par le groupe femmes, nous désirons que la parole des femmes soit plus mise en valeur.

    Laura. – L’atelier présentera plusieurs moments :

    - présentation du concept de salaire à la qualification personnelle, à partir du manifeste de Réseau salariat « Pour un statut politique du producteur » ;

    - discussions en petit groupe autour des critères de qualification actuels que nous identifions à partir de notre expérience ;

    - discussion en petit groupe autour d’un document de travail rédigé par des membres du groupe femmes ;

    - présentation de l’état des réflexions du groupe femmes sur le thème du salaire à la qualification personnelle dans une perspective féministe2.

    II – Le salaire à la qualification personnelle.

    Présentation, par Laura, du salaire à la qualification personnelle, à partir du manifeste de Réseau salariat3*.*

    Nous voulions d’abord souligner que le groupe femmes ne rejette pas l’approche et l’histoire du salaire à la qualification personnelle que l’on trouve dans le manifeste de Réseau salariat.

    Aujourd’hui, c’est surtout dans l’emploi que se joue la question du salaire. Nous sommes donc dépossédé·e·s de la décision sur les questions Qui gagne quoi ? Quand ? Comment ? Quel est le travail reconnu et quel est le travail non-reconnu ?, etc.

    Il y a eu toutefois des conquêtes pour nous conférer un pouvoir de décision sur ces questions, à commencer par les conventions collectives, qui permettent de fixer des critères de qualification professionnelle,  montrant par là que la délimitation du salaire et du travail relève d’une décision politique.

    Ces conventions collectives sont ainsi un espace conquis où se jouent les rapports de force et où se fixent des salaires dans une démarche collective. L’inconvénient des conventions collectives est que la qualification et le salaire sont attachés au poste de travail : si l’on perd son emploi, on perd la qualification professionnelle du poste et, avec elle, le salaire qui lui est associé.

    Le statut de la fonction publique, quant à lui, attache le salaire à la personne, et c’est pourquoi on parle de salaire à la qualification personnelle : on peut changer de poste sans changer de salaire. La pension de retraite du statut de la fonction publique et celle du régime général de sécurité sociale sont chacune un salaire attaché à la personne.

    Partant de ces conquêtes historiques, le manifeste de Réseau salariat propose – et le groupe femmes en est d’accord – de revendiquer un droit au salaire à la qualification personnelle, à partir de dix-huit ans, en tant que producteur·trice :

    « nous proposons la création d’un droit universel à qualification, comme droit politique constitutionnel,  appelé à devenir partie intégrante de la citoyenneté au même titre que le droit de suffrage. Ce droit instituera un statut politique du producteur, et se déclinera dans l’attribution d’une qualification personnelle à chaque citoyen dès l’âge de dix-huit ans. Cette qualification sera irrévocable, pourra progresser à l’ancienneté ainsi qu’au travers d’épreuves de qualification, et fondera pour son titulaire l’obtention d’un salaire à vie correspondant à son niveau de qualification. »

    Le manifeste s’achève sur des questions ouvertes : l’âge d’attribution du salaire, l’universalité de ce droit, la progression de la qualification personnelle, la hiérarchisation des qualifications et des salaires,  la nature de la propriété à laquelle le statut du producteur entend mettre un terme, l’usage de la monnaie dans une société du salaire à vie, la qualité politique du producteur les limites territoriales et nationales de son statut.

    Sur la hiérarchie des salaires, on lit :

    « notre approche du statut politique du producteur se base sur le “déjà là” émancipateur des

    institutions du salariat, cela dans une optique de faisabilité. Or, il nous semble que rien, dans ces institutions,  n’anticipe à ce jour une égalité totale des salaires, ni la suppression de critères déterminant des niveaux de salaire. Pour cette raison, la suppression des hiérarchies ne nous paraît pas réaliste à court terme. Cependant, si des hiérarchies sont maintenues, les écarts entre les différentes catégories salariales peuvent être considérablement réduits […]. [Nous] optons pour une échelle des qualifications et des salaires allant de 1 à 4 ou de 1 à 5. Nous nous rapprochons en cela des pratiques en vigueur dans le monde coopératif et du rapport actuel entre les salaires les plus élevés et les salaires les plus faibles en France. Enfin, cette hiérarchie peut être rendue effective à partir de l’expérience de critères non marchands,  s’inspirant, là encore, des procédures de validation des acquis de l’expérience. »

    Telle est la position publique de Réseau salariat. Mais, au sein de l’association, la question de la hiérarchie des salaires et du salaire unique est discutée.

    III – Les critères actuels de qualification.

    Temps de réflexion par groupes de trois, avec invitation à la non-mixité pour les femmes, autour des deux questions suivantes : Quels sont les critères de qualification que vous identifiez à partir de votre expérience, tous revenus confondus ? Quels aspects positifs et quels problèmes ces critères présentent dans la société actuelle ?

    À tour de rôle, chacun membre du groupe s’exprime pendant cinq minutes sans interruption.

    Les trois membres échangent ensuite pendant quinze minutes.

    Il n’est prévu aucune restitution en assemblée plénière des réflexions des différents groupes, puisque ces réflexions serviront à nourrir le temps de réflexion suivant.

    IV – Le travail et les ressources financières des femmes.

    Arpentage, par groupes de quatre, d’un texte rédigé par certaines membres du groupe femmes4.

    Chaque personne lit deux pages du texte, puis les restitue pendant cinq minutes au groupe en présentant ce qu’elle a appris, ce qui la frappe, ce qui l’interpelle ou avec quoi elle est en désaccord.  S’ensuivent quinze minutes d’échange sur cette lecture, en lien avec la qualification personnelle.

    Cet atelier ne donne lieu à aucune restitution en assemblée : il ne vise qu’à initier la réflexion.

    V – Salaire à la qualification personnelle et féminisme.

    Présentation, par Christine, de l’état des réflexions et des débats internes au groupe femmes depuis 2016 sur la question du salaire à la qualification personnelle et du salaire unique dans une perspective féministe.

    Le salaire à salaire à vie, à la personne, à la qualification personnelle, présente un intérêt certain pour la lutte féministe, même si Réseau salariat ne l’a pas d’abord pensé dans une perspective féministe.  En particulier, il permet d’alimenter les réflexions des féministes autour de la question du travail gratuit pour autrui, qui est en tant que tel une exploitation. Le travail gratuit pour autrui effectué par les femmes intervient dans la sphère professionnelle et dans la sphère privée. Les thèses de Réseau salariat, ayant été élaborées dans la perspective de la lutte communiste pour sortir du capitalisme, ne portent que sur la sphère professionnelle et le mode de production corrélatif.

    Dans la sphère professionnelle, ce travail gratuit pour autrui effectué par les femmes se traduit par une différence de niveau de salaire entre les hommes et les femmes, d’environ 25% : l’INSEE établit que les femmes gagnent en moyenne 25 % de moins que les hommes ; en renversant la perspective,  cela signifie que les hommes gagnent en moyenne 30 % de plus que les femmes. Quand on s’intéresse au couple, la différence est de 40 % : dans un couple, les femmes gagnent en moyenne 40 % de moins que les hommes ; les hommes, 50 % de plus que les femmes. Quant aux pensions de retraite, les chiffres sont aussi de 40 % – ou 50 %, selon la perspective. L’INSEE a étudié et décomposé ces 25 % de la sorte :

    - dix points restent, dit l’INSEE, « inexpliqués », ce qui signifie qu’ils expriment ou procèdent d’une discrimination, que c’est parce que ce sont des femmes qui effectuent le travail qu’elles gagnent en moyenne 10 % de moins que les homme effectuant le même travail, au même poste, au même niveau de qualification ;

    - cinq points sont dus au « plafond de verre » (hauts niveaux de qualification inaccessibles aux femmes), aux « murs de verre » (professions et secteurs d’activités masculinisés,  auxquels les femmes n’accèdent pas, et qui sont mieux payés que ceux auxquelles elles accèdent),  et au « plancher collant » (impossibilité pour les femmes, souvent racisées, de quitter les emplois et les postes défavorisés et mal payés) ;

    - dix points procèdent au travail à temps partiel.

    Le salaire à la qualification personnelle présente un double intérêt féministe, en ce qu’il offre une indépendance financière aux femmes, laquelle leur permet aussi de s’extraire d’un couple où elles subiraient des violences sexistes ou sexuelles (aspect de l’appareil répressif du patriarcat).

    L’échelle des salaires, cependant, pose question d’un point de vue féministe : elle pourrait être un lieu de domination masculine, se faire toujours au détriment des femmes et au bénéfice des hommes. C’est une raison conduisant à explorer la possibilité d’un salaire unique.

    Dans la sphère privée, le travail gratuit pour autrui effectué par les femmes se rencontre au sein du travail domestique (pour soi et pour autrui), défini, non seulement comme un ensemble de tâches,  mais comme un mode de production, avec deux classes, celle des hommes et celle des femmes5.

    L’INSEE quantifie le travail domestique, mais sans inclure les heures de travail que les femmes effectuent pour leur conjoint indépendant (comptabilité, etc.), et qui ne sont, ni déclarées, ni payées. L’INSEE comptabilise soixante milliards d’heures de travail domestique (pour soi et pour autrui) en France par an, contre quarante dans la sphère professionnelle : le travail domestique est le premier secteur d’activité. 60 % des heures de travail domestique sont effectués par les femmes, et 72 % sur le noyau dur du travail domestique : le ménage, la cuisine, l’éducation des enfants, etc. – c’est-à-dire en excluant le bricolage, le jardinage, etc. Cela passe à 84 % dès qu’il y a trois enfants ou plus, ce qui correspond à soixante heures de travail par semaine en plus du travail effectué dans la sphère professionnelle.  Cela correspond à un très grand nombre d’heures de travail, et c’est ce qui explique les dix points manquants. Les femmes « au foyer » sont les femmes dont le travail n’est que du travail domestique: on dit qu’elles ne travaillent pas, alors qu’elles travaillent beaucoup.

    Or, le salaire à vie ne résout pas le problème de la prise en charge du travail domestique,  puisque celui-ci a lieu dans la sphère privée, et que le salaire à vie ne touche pas aux institutions de la sphère privée, seulement à celles de la sphère professionnelle. Qui fera ce travail domestique dans une société de salaire à vie ? Pour qui ces personnes le feront-elles ? À quelle hauteur sera-t-il payé ? Et qui le paiera ? Ces questions subsistent en situation de salaire à vie, parce que celui-ci renverse un système d’oppression : le capitalisme, et qu’elles portent sur un autre : le patriarcat. Les classes en jeu ne sont plus les mêmes : si, par exemple, ce sont les femmes qui effectuent le travail domestique, faut-il que la classe des hommes paie pour la classe des femmes ? N’y a-t-il pas là un risque d’essentialiser ?  Quelle solution trouver alors ? – Ici se présente une série de difficultés, liées à l’organisation de ce travail domestique. En particulier, tout le caractère émancipateur du salaire à vie vient de ce qu’il relève de la qualification personnelle, qu’il paie la personne, non la tâche effectuée. Or, l’organisation du travail domestique relève de la tâche concrètement effectuée. Comment donc l’organiser ? Peut-on l’organiser tout en maintenant le principe de la qualification personnelle ? – La répartition égalitaire des tâches n’est pas réalisée pour le moment, et ne le sera pas de si tôt : elle est un leurre. Il faut trouver autre chose. – Faut-il alors externaliser la totalité du travail domestique, par exemple via une sécurité sociale du travail domestique ? Le peut-on seulement ? Et, même alors, comment faire pour que les femmes ne soient pas les seules à effectuer le travail domestique, et que celui-ci ne soit pas en bas de la hiérarchie des salaires ? – Si ce sont les femmes qui continuent à effectuer très majoritairement le travail domestique, faut-il alors payer les femmes plus que les hommes, en tant que femmes (critère de hiérarchie des salaires) ? Peut-être que cela inciterait les hommes à se mettre au travail domestique,  peut-être… Qui doit payer ce surplus de salaire ? Faut-il que ce soient les hommes, et seulement les hommes, par une cotisation dédiée ? – Etc. Ceci est un résumé bref, et à la hache, de nos réflexions.

    Notre difficulté à résoudre le problème du mode de production domestique vient de ce que ce à partir de quoi nous y réfléchissons : les thèses de Réseau salariat, a été construit dans l’objectif de lutter conter le capitalisme, non contre le patriarcat, ni aucune autre forme d’oppression.

    Laura. – Les rapports de pouvoir entre la classe des hommes et la classes des femmes ne se jouent pas sur le seul terrain des salaires. D’autres terrains pourraient aider à résoudre ces difficultés,  par exemple celui de l’investissement. Par ailleurs, on pourrait se mettre d’accord pour ne chercher à lutter que contre telle domination, telle exploitation, à l’exclusion de telles autres, mais il faut en avoir conscience, pour pouvoir l’assumer : il faut se demander quelles sont les personnes que notre modèle favorise, et lesquelles il ne favorise pas, voire lesquelles il défavorise, et si cela nous convient.

    VI – Discussion avec l’assemblée.

    Johanna. – Pourquoi pensez-vous qu’il y ait une classe des hommes et une classe des femmes ?  Pourquoi leurs intérêts divergent-ils ? Divergent-ils seulement maintenant, ou absolument ? Voulez-vous réintroduire un salaire à la tâche en lien avec le travail domestique ? La question n’est-elle pas plutôt de savoir ce qu’est un travail ? Car, si vous parlez de travail invisibilisé, c’est que le travail domestique n’est pas reconnu comme tel. Et, s’il l’est par le salaire à vie, pourquoi un problème subsistet- il ? S’il y a hiérarchie des qualifications, donc des salaires, y a-t-il nécessairement domination ?

    Christine. – Sur les classes, dès qu’il y a système d’oppression, il y a des classes constituées selon les critères liés à cette oppression. Ici, c’est le genre, lui-même naturalisé par le critère du sexe.  D’autres critères sont possibles, et cela existe : il y a un système d’oppression raciste qui définit la classe des blancs et celle des autres sur le critère de la race, lui-même naturalisé par la couleur de la peau. Le patriarcat existe avant le capitalisme, et on peut supposer qu’il existera après – ce qui n’est pas une position partagée au sein du féminisme marxiste. Je pense que capitalisme et patriarcat sont distincts, peuvent s’alimenter l’un l’autre, mais qu’inversement le capitalisme est opportuniste, et peut donc abandonner le patriarcat s’il y trouve un intérêt – de même qu’il a permis aux femmes d’entrer sur le marché du travail, dès lors qu’il y a trouvé un intérêt.  

    Isabelle. – Sur les intérêts divergents, le patriarcat repose entre autres choses sur l’exploitation du travail gratuit des femmes par et au bénéfice des hommes dans le couple hétérosexuel, ce qui crée des intérêts matériels globalement divergents entre les hommes en général et les femmes en général :  les hommes en général ont intérêt à maintenir le système actuel pour bénéficier du service qui leur est gratuitement rendu par les femmes, et, par exemple, de ressources financières plus importantes et de plus de temps libre.

    Laura. – Sur la qualification personnelle et le travail à la tâche, nous posons le problème, mais nous n’avons pas de solution unanime.

    Christine. – Payer le travail domestique comme salaire à la tâche serait une régression, mais le travail domestique reste à faire : qui va le faire, et comment le rémunérer ?

    Catherine. – Classe me gêne, car cela veut dire producteur et exploité. Sur les risques que la hiérarchie se fasse au détriment des femmes, je ne vois pas bien pourquoi : je n’ai pas ressenti cela dans mon travail dans l’Éducation nationale ; l’avancement de ma progression s’est fait par mes choix.  Par ailleurs, ma vie privée est privée, et je ne veux pas qu’on vienne y jeter un oeil ; c’est à nous de nous arranger dans le couple, ce sont des relations interpersonnelles, privées. Le salaire à vie est ma carapace, qui me protège et me permet de partir si je veux.

    Laura. – Sur l’usage du mot classe, il nous semble être rigoureux : nous voyons un rapport de production et d’exploitation des femmes au profit des hommes dans la sphère privée, ce qui justifie l’emploi de ce mot. Pour le reste, je respecte ce que tu dis, mais cela relève de ta trajectoire personnelle,  alors que nous nous plaçons à l’échelle de la société, y compris au moment de parler de la sphère privée : le travail gratuit est principalement assumé par les femmes à l’échelle de la société.

    Christine. – Dans la fonction publique d’État, l’écart des niveaux de salaires est plus faible,  mais il existe : il est de 10-12 %, à poste comparable, par les primes.

    Julien. – Mais, si ce sont les primes, alors ce n’est pas du salaire à vie, c’est du retour du salaire à la tâche.

    Christine. – Oui, ce n’est pas du salaire à vie, c’est du salaire à la tâche.

    Guillaume. – On peut s’interroger sur le lieu de vie : si on habite dans un lieu individuel, bien que l’on soit en couple, – comme cela se fait parfois dans ma génération, – alors il n’y a de travail domestique que pour soi, jamais pour autrui, et ceci détruit l’oppression en question.

    Hélène. – Et là arrivent les enfants…

    Guillaume. – On peut faire une garde alternée.

    Laura. – C’est très intéressant, mais ça ne résout pas tout : puisqu’il reste la charge mentale, le travail de la conversation, le travail émotionnel, etc., qui sont des aspects du travail invisibilisé très essentiellement porté par les femmes dans notre société, qui participe et contribue à faire société dans la sphère privée et dans la sphère professionnelle.

    Christine. – Tu as pointé une institution forte du patriarcat, Guillaume : le couple, et celles qui lui font cortège : le mariage et le PACS.

    Bernard F. – Que faire du travail domestique et faut-il le transformer ? Je suis d’accord que la répartition égale au sein du couple ne fonctionne pas, mais payer ce travail à la tâche serait contradictoire avec nos propositions et contre-productif. Suite aux échanges que j’ai eus avec toi, Christine, et aux réflexions qu’ils ont provoquées chez moi, je propose une sécurité sociale du travail domestique, à condition qu’elle soit assumée par autant d’hommes que de femmes partout, dans tous les postes et toutes les responsabilités. Il ne s’agirait pas d’assumer toutes les tâches domestiques : certaines doivent être accomplies hors de toute considération de valeur économique, par exemple si je cuisine pour une fête de famille. Anthropologiquement, notre vie doit se partager entre des moments dans et hors de la valeur économique : une partie de mes activités doit se passer dans le cadre de la valeur, et une autre en dehors – et c’est pourquoi je refuse inversement le statut de retraité, qui implique de n’avoir aucune activité dans l’ordre de la valeur. Une sécurité sociale du travail domestique permettrait que les personnes assument comme elles l’entendent une partie des tâches domestiques hors de la valeur, et qu’une autre partie devienne du travail et soit assurée par des professionnel·le·s payé·e·s à la qualification personnelle, à stricte parité hommes-femmes. Ceci résoudrait l’aporie que vous signaliez : ce sont des professionnel·le·s salarié·e·s à la qualification personnelle, non à la tâche. Et ceci résoudrait aussi l’aporie d’avoir à transformer en travail toutes les tâches domestiques, ce qui me paraît extrêmement négatif, – comme pour toute activité au demeurant, – pour la raison que j’ai indiquée précédemment.

    Isabelle. – Mais nous ne parlons que du travail domestique pour autrui, qui revient surtout aux femmes. Je suis d’accord qu’il faille faire sortir certaines activités de la sphère de la valeur, mais celles qui en sortent sont souvent des activités répétitives, inintéressantes, etc., faites par les femmes.

    Hélène. – Toutes ces réflexions viennent bousculer l’institution du couple hétérosexuel et celle de la famille. Certaines organisations sociales, comme le congé parental, répondent au problème de la discrimination dans les parcours professionnels – sans le résoudre –, et permettent de libérer du temps pour autre chose, ainsi que de valoriser ces tâches domestiques.

    Isabelle. – Merci pour votre participation.

    Document de travail “Le travail et les ressources financières des femmes” qui a servi de base à l'atelier disponible ici: <{.Site.BaseURL}/articles/2022-01-19/>

    1 Ce compte rendu a été établi à partir de notes prises sur le vif durant l’atelier, nécessairement partielles et incomplètes.

    Des codes temporels vous permettront de vous référer à l’enregistrement complet de l’atelier.

    2 Sur la question du travail domestique, on pourra consulter l’article de Bernard Friot et Christine Jakse, « Salaire à la personne et égalité face au temps » , Travail, genre et sociétés, vol. 46, n°2, 2021, pp. 199-202.

    3 Ce manifeste est disponible à cette adresse.

    4 Vous le trouverez en fin de document.

    5 Ceci a été notamment théorisé par Christine Delphy.

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