Automnales2021 - Atelier 2 - Proposition de calcul des prix
Automnales de Réseau salariat 2021, du 30 octobre au 1er novembre 2021, à Lille,
organisées par le groupe local Nord – Pas-de-Calais, sur initiative du groupe thématique économie du salaire à vie.
Proposition de calcul des prix dans l’économie du salaire à vie
Atelier animé par Bernard Q., du groupe thématique économie du salaire à vie.
Durée : 1h.
Matériel : PC + grand écran.
Méthode : lecture et commentaire du diaporama ci-dessous, diffusé sur grand écran.
Voici une liste ordonnée de codes temporels vous permettant de vous référer à l’enregistrement audio de l’atelier, pour y trouver les commentaires accompagnant chaque diapositive du diaporama.
00:10 Sommaire. – Diapositives n°1 & 2.
00:50 Prix et valeur ajoutée dans le capitalisme. – Diapositives n°3 & 4.
01:59 Partage de la valeur ajoutée dans le capitalisme. – Diapositive n°5.
02:37 Question générale décisive : D’où vient la monnaie ?
03:54 Valeur ajoutée dans l’économie du salaire à vie. – Diapositives n°6-7.
04:48 Valeur d’usage, valeur économique et valeur d’échange. – Diapositive n°8.
05:57 Analyse macro-économique : définition. – Diapositives n°9.
06:09 Catégories de production. – Diapositive n°10.
06:55 Calcul macro-économique de la valeur économique. – Diapositive n°11.
08:08 Pourquoi recourir au salaire moyen dans le calcul de la valeur économique ?
09:48 Ce modèle fonctionne avec une échelle des salaires ou avec un salaire unique.
10:34 Calcul macro-économique de la valeur d’échange. – Diapositives n°12 & 13.
11:12 Précision sur la distinction entre valeur économique et valeur d’échange, à la lumière
14:20 des deux égalités suivantes :
somme de TOUTES les valeurs économiques = somme de TOUS les salaires
somme de TOUTES les valeurs d’échange = somme de TOUS les salaires
12:34 Qui décide de ce que l’on place dans la production à vendre et dans la « gratuité » ?
13:35 Égalité entre création et destruction monétaire.
16:41 Rapport entre salaires et prix.
18:02 Calcul macro-économique de la valeur d’échange, suite. – Diapositive n°14.
18:32 Qu’est-ce que ce coefficient de 2,8 ?
21:16 Rapport entre ce coefficient et la prise en compte des enfants.
22:10 Rapport entre ce coefficient et la « gratuité » des productions intermédiaires et des productions de développement.
24:18 Circulation monétaire. – Diapositive n°15.
35:06 Analyse micro-économique : définition. – Diapositive n°16.
35:25 Calcul micro-économique de la valeur ajoutée d’une unité de production. Présentation de l’équivalent temps plein (ETP). – Diapositive n°17.
36:13 Calcul micro-économique de la valeur économique d’une production. – Diapositive n°18.
37:35 Définition et présentation des productions de développement.
38:30 Amortissement, par socialisation, des productions de développement. – Diapositive n°19.
45:04 Calcul micro-économique de la valeur d’échange d’une production à prix. – Diapositive n°20.
49:27 Épargne, avances monétaires et avoirs : comment acheter des biens dont le prix excède le montant de son salaire ? – Diapositive n°21.
Discussion avec l’assemblée1
Bernard Q. – Dans le capitalisme, il faut produire et vendre avant de payer les salaires. Mais d’où vient la monnaie qui permet la vente ? Comment peut-on vendre la production marchande, si personne n’a encore de salaire ? Pour qu’il y ait monnaie, il faut une création monétaire. Certes, pour les personnes qui touchent un salaire, une fois le système en marche, un lissage s’opère : elles paient avec leur salaire du mois précédent. Autrement, on est obligé d’emprunter et d’entrer dans le système de crédit-dette pour payer ses achats du mois, et de rembourser en fin de mois avec le salaire touché. Ainsi, dans le capitalisme, c’est à l’occasion des crédits que la monnaie est créée ; et, du remboursement, qu’elle est détruite. Il faut toujours se demander d’où vient la monnaie : même s’il y a circuit, même si cette monnaie tourne, elle a dû être créée, et il faut savoir à quelle occasion. Nous proposons de la créer exclusivement pour payer les salaires, avant que toute production n’ait lieu.
Françoise. – Sur le schéma, vous avez mis la santé, l’éducation et le transport ferroviaire dans la production « gratuite ». Qui décide de ce que l’on place dans la production à prix et « gratuite » ?
Bernard Q. – C’est la démocratie économique qui en décide, mais nous n’avons pas encore réfléchi au processus exact de cette décision, aux institutions en jeu, etc.
Erwan. – Pourrait-on revenir sur la distinction entre valeur économique et valeur d’échange. Quelle est-elle, si la sommes des valeurs économiques est égale à la somme de tous les salaires, et si la somme des valeurs d’échange est aussi égale à la somme de tous les salaires ?
Bernard Q. – Ces deux égalités impliquent, en effet, que la somme de toutes les valeurs économiques est égale à la somme de toutes les valeurs d’échange, ou prix. Mais l’égalité ne fonctionne que pour la somme, pour le total : ce n’est pas chaque valeur économique qui est égale à chaque prix. Il y a une différence entre les deux, pour deux raisons. D’abord, parce que toute production, qu’elle soit à prix ou non, a une valeur économique ; tandis que seules les productions à prix ont une valeur d’échange, un prix. Ensuite, parce que la valeur d’échange d’une production à prix n’est pas égale à sa valeur économique, puisqu’elle est calculée en intégrant une partie de la valeur économique des productions qui n’ont pas de prix, afin d’assurer l’équilibre entre la création et la destruction monétaire. Julien. – Il y a une égalité entre le total des salaires et le total des prix. J’imagine que l’on ne va pas modifier le montant des salaires pour les équilibrer aux prix. Est-ce donc le prix des marchandises qui devient la variable, que l’on équilibre aux salaires ? Et selon quelle temporalité varie-t-il ?
Bernard Q. – Oui, et il est actualisé tous les mois. L’égalité entre les prix et les salaires est assurée au niveau de la production du mois, non de la vente du mois : ce qui est produit à un moment donné n’est pas nécessairement vendu dans le mois. L’équilibre du circuit monétaire suppose donc un lissage dans le temps à cet égard, pour lequel nous n’avons pas encore trouvé de solution définitive.
Anne-Sophie. – D’où vient ce coefficient 2,8 ?
Bernard Q. – Ce coefficient permet de passer de la valeur économique d’une production à prix à sa valeur d’échange, à son prix, de façon à ce que cette valeur d’échange inclue la valeur économique des productions sans prix. Il exprime donc le poids de la production à prix dans la production totale, c’est-à-dire le poids des salaires de tous les producteur·trice·s qui travaillent pour produire des biens et services à prix par rapport à l’ensemble des salaires versés sur le territoire. Le chiffre de 2,8 n’est donc
Des codes temporels vous permettront de vous référer à l’enregistrement complet de l’atelier donné qu’à titre indicatif : il augmente lorsque la part de la production à prix diminue, ou quand la1 Ce compte rendu a été établi à partir de notes prises sur le vif durant l’atelier, nécessairement partielles et incomplètes. part de la production sans prix augmente dans la production totale. Si, par exemple, le transport passe dans la « gratuité », le coefficient augmentera. Si on crée des allocations familiales ou si le salaire à vie est attrivué dès la naissance, cela fera autant de producteur·trice·s supplémentaires qui ne produiront pas de production à prix, et le coefficient augmentera.
Bernard F. – Je pense qu’il faut préciser que votre mode de calcul repose sur le fait que seuls les produits finals ont une évaluation monétaire, sont vendus. Les consommations intermédiaires ne sont pas à prix, par exemple. Cela explique que ce coefficient soit assez haut.
Hélène. – Pourquoi créer artificiellement une valeur globale que l’on répercute ensuite dans le calcul des prix avec le coefficient de prise en compte de la valeur non-marchande ? S’il y a de la production sans prix, pourquoi inclure sa valeur dans le prix de la production à vendre ?
Bernard Q. – Supposons que le total des salaires des travailleur·euse·s de la production à prix s’élève à 1000 € ; et, celui des travailleur·euse·s de la « gratuité », à 2000 €. On crée donc 3000 € de monnaie au total. Si les prix ne sont calculés qu’en fonction des salaires des travailleur·euse·s de la production à prix, alors le total des prix s’élève à 1000 €, et on ne peut dépenser que jusqu’à 1000 € de monnaie. Il reste alors 2000 € de monnaie qui ne peuvent pas être dépensés, qui ne peuvent rien acheter, puisqu’ils ne correspondent à aucun prix dans la production à prix disponible. Ainsi, l’inclusion des salaires de la « gratuité » dans les prix, par le coefficient en question, sert à assurer l’équilibre entre la monnaie disponible (somme de tous les salaires) et les prix de ce que l’on peut acheter (somme de tous les prix de vente), pour que toute la monnaie en circulation puisse servir à acheter quelque chose.
Hélène. – D’accord, mais n’est-ce pas artificiel ?
Bernard Q. – C’est un outil technique : la valeur économique et la valeur d’échange sont calculées, non déterminées par l’état effectif du marché, de l’offre et de la demande. C’est une décision, un choix : celui de calculer le prix à prix coûtant. En ce sens, on peut estimer que c’est artificiel. Mais l’économie capitaliste est tout aussi artificielle : l’économie est une construction humaine.
Anne. – Aujourd’hui aussi, les entreprises calculent leur prix en tenant compte des coûts de production, des cotisations, des impôts, et du profit. Un prix est toujours calculé.
Bernard Q. – Oui. D’ailleurs, le prix coûtant existe aussi dans le capitalisme. Seulement, au lieu de s’y arrêter, comme nous proposons de le faire, le capitaliste ajoute ses profits.
Bernard F. – Dans votre circuit monétaire, les entreprises qui vendent des biens finals à prix versent la totalité de leur chiffre d’affaires à une caisse de salaires pour que la monnaie soit détruite, parce que la totalité des chiffres d’affaires est égale à la totalité des salaires avancés au départ. Le coeur de votre proposition est d’inverser absolument tout le circuit monétaire par rapport au capitalisme : au lieu de d’abord produire et vendre, et de payer les salaires ensuite, on commence par payer les travailleur ·euse·s, et la production est effectuée après ; les salaires sont le départ du circuit monétaire. Ceci pose les travailleur·euse·s comme absolument centraux dans la production.
Benoît B. (Autogestion). – Pourquoi chaque UP n’amortit-elle pas elle-même ses propres productions de développement dans le temps ? Pourquoi chaque UP ne répercute-t-elle pas sur ses prix la valeur économique de ses propres productions de développement ? Pourquoi y a-t-il une socialisation ou un amortissement collectif des productions de développement ? Pourquoi chaque UP répercute-telle sur ses prix toutes les productions de développement de toutes les UP présentes sur le territoire ?
Bernard Q. – C’est un choix politique, celui de la co-responsabilité des UP sur la production.
Addendum. – Ce choix politique peut s’expliquer, entre autres et premièrement, par ceci que « la valeur est fugitive, son usage la détruit » (B. Bony), c’est-à-dire par le refus que les biens puissent être réserve de valeur. La valeur économique des productions de développement disparaît dès que celles-ci sont fournies à une UP : elle ne se conserve pas, et ne peut donc être amortie dans le temps. Elle doit l’être dès que ces productions sont fournies, donc collectivement, par l’ensemble des UP.
Par suite et deuxièmement, si chaque UP est propriétaire d’usage de ses outils de production, elle n’en est pas le propriétaire patrimonial, ou ne l’est pas seule – la question est en réflexion. Aussi les moyens de production peuvent-ils circuler d’une UP à l’autre sans flux économiques, ni monétaires. Or, ceci suppose que chaque UP ait participé à leur amortissement collectif. Benoît B. – C’est dommage pour la réalité économique.
Addendum. – Notre mode de calcul de la valeur économique permet d’effectuer un suivi comptable UP par UP, et, ainsi, de connaître la « santé économique » de chaque UP. Ce choix de socialiser les productions de développement ne pose donc aucun problème pour « la réalité économique ». Mieux, il permet aux UP déjà installées qui distribuent des produits à prix de soutenir l’installation de nouvelles UP, et même de nouvelles filières de production, en ne contraignant pas chaque nouvelle UP de distribution de produits à prix d’assumer et d’amortir seule dans ses prix la valeur économique des productions de développement de la filière (son « coût d’installation », dans le capitalisme), valeur qui est importante à l’installation. Cette socialisation fait ainsi la preuve de sa plus grande efficacité économique par rapport à l’amortissement micro-économique dans le temps.
Anne. – La valeur économique produite est-elle égale au nombre de salaires mensuels, ou au nombre d’heures de travail ?
Bernard Q. – Au niveau macro-économique, le total de la valeur économique produite est égale au total des salaires. Mais, au niveau micro-économique, celui de la valeur économique produite par une UP, elle est égale au nombre d’équivalents temps plein (ETP) dans l’UP multiplié par le salaire moyen général. L’ETP, c’est l’effectif de l’UP, le nombre de producteur·trice·s dans l’UP, calculé en temps de travail : deux salarié·e·s à mi-temps font un temps plein, un effectif ETP.
Si, maintenant, on veut calculer la valeur économique d’un produit particulier de cette UP, par exemple d’une baguette de pain produite par la boulangerie, alors il faut répartir le temps de travail entre les différents produits de l’UP. On n’utilisera donc plus l’ETP : on considérera le temps de travail nécessaire en moyenne dans cette UP pour produire ce produit, par exemple une baguette de pain ; et le temps de travail nécessaire dans les UP qui fournissent les productions intermédiaires utilisées pour produire cette baguette ; et un coefficient forfaitaire pour les productions de développement.
Bernard F. – Donc, si je comprends bien, une entreprise ne peut baisser son prix de vente qu’en réduisant ses effectifs ETP ; il n’y a pas d’autre solution.
Bernard Q. – Oui. C’est la question de la productivité qui est alors posée : faut-il l’augmenter, et jusqu’où ? À mon avis, c’est un dialogue entre les comités économiques et les UP qui décidera, par un choix collectif, de la productivité, donc des moyens nécessaires pour produire tel bien ou service. Mais il n’y a plus de course à la baisse des prix pour faire augmenter les profits. Si l’on choisit d’aug - menter la productivité, ce sera pour d’autres raisons : pour libérer du temps pour autre chose, etc.
Anne. – Si on réduit le nombre de salarié·e·s dans le secteur de la production à prix, alors le coefficient 2,8 augmentera. Il y aura donc un équilibrage macro-économique.
Bernard Q. – Oui, tout à fait : si moins de salariés·e·s travaillent dans la filière de la production à prix, le coefficient 2,8 augmentera, pour que la somme des salaires soit égale à la somme des prix. Cette égalité sera maintenue, les travailleur·euse·s auront toujours de quoi acheter toute la production à prix produite un mois donné.
Théo (IHT). – Actuellement, la carte vitale est un moyen très efficace pour ne pas rencontrer de problèmes, dus à l’épargne, de déséquilibre entre la monnaie créée et la monnaie détruite, puisqu’il n’y a pas d’épargne : la monnaie que je reçois sur la carte vitale ne peut pas être épargnée.
Bernard Q. – Je ne vois pas comment on pourrait transposer ce qui se passe dans le domaine du soins à tous les autres domaines. Dans le domaine du soins, les besoins varient avec l’âge, par exemple : plus on monte en âge, plus on a des problèmes de santé.
Théo. – La proposition de sécurité sociale de l’alimentation (SSA) tâche d’opérer cette transposition. Si je reçois cent euros sur ma carte vitale, et que je n’en dépense que quatre-vingts, alors ces quatre-vingts euros sont comptabilisés comme dépensés, et immédiatement détruits. Les vingt euros restants ne sont, ni créés, ni détruits : ils n’existent simplement pas.
Bernard Q. – D’accord ; seulement, dans cet exemple, les vingt euros de monnaie qui ne sont pas dépensés correspondent exactement à vingt euros de production alimentaire invendue. Il reste du pain dans les boulangeries, par exemple. C’est un problème.
Théo. – Oui, il faudra rééquilibrer en recalculant les prix. La question du calcul des prix n’est donc pas résolue par la carte vitale. Mais, au moins, il n’y a pas de problème de déséquilibre de la masse monétaire qui serait engendré par l’épargne, puisqu’il n’y a pas d’épargne : dans la proposition actuelle de SSA, la carte vitale est remise à zéro chaque mois.
Bernard Q. – Tu règles le problème de l’équilibre monétaire, mais pas celui de la production : il reste des productions invendues.
Théo. – D’accord, mais ce problème devient concret, un problème de gestion de la production : selon le secteur, on peut par exemple conserver la production invendue, et produire moins le mois suivant.
On ne peut pas faire cela dans l’alimentation, mais ce n’est qu’un exemple.
Bernard Q. – On pourra peut-être en parler demain matin, dans l’atelier sur la SSA.
Éric. – Y a-t-il un comité qui s’occupe de gérer les avances des particuliers ? Qui décide d’accorder ou refuser les avances, par exemple que cette famille-ci peut acheter une voiture ?
Bernard Q. – Compte tenu des institutions que nous envisageons, je pense que c’est une caisse des salaires qui doit gérer les avances. Mais c’est une question de fonctionnement de la démocratie économique, et nous n’avons pas beaucoup avancé sur ce dossier. On peut proposer autre chose.
Benoît B. – Je m’interroge sur la relation entre la somme des prix et la somme des salaires. À l’échelle d’une UP, la valeur ajoutée de l’UP = nombre d’unités vendues × prix unitaire. La valeur économique n’est donc pas la somme des prix, mais le nombre d’article vendus au prix unitaire.
Bernard Q. – Ce n’est pas ainsi que nous définissons la valeur économique d’une UP : c’est le travail qui est inclus dans la marchandise.
Benoît B. – Oui. Mais, pour qu’il y ait retour de la monnaie créée pour les salaires, il faut qu’il y ait des prix, et des preneurs : c’est la question centrale. Prenons un boulanger, qui travaille seul. En tenant compte des coefficients, il doit produire par mois une valeur économique de six mille euros pour que la monnaie créée soit détruite. Il produit des baguettes qui valent un euro pièce. Il a donc pour objectif de vendre six mille baguettes. Or, si le prix unitaire est décidé dans la sphère de la production, par le boulanger ou le comité économique ; le nombre d’unités vendues, lui, est déterminé par les consommateurs, et s’observera a posteriori. Autrement dit, le boulanger produit six mille baguettes, et on croise les doigts qu’il les vende toutes. Lors d’un travail ordinaire pour lequel on a une certaine expérience, on peut l’évaluer ; mais, lorsque l’on démarre son activité, que l’on rencontre une chute de conjoncture, etc., on a beaucoup plus de mal à l’évaluer. Et il me semble que c’est là que réside la difficulté centrale que votre approche rencontre. Dans une économie de marché, la valeur ajoutée fait les salaires. Vous proposez d’inverser, de partir des salaires pour aller vers la valeur ajoutée. Or, dans les éléments qui déterminent la valeur ajoutée, les producteurs ne peuvent en contrôler qu’un seul : le prix, non le nombre d’unités vendues. C’est le marché qui revient par la fenêtre.
Bernard Q. – Le prix et le nombre d’unités à vendre sont déterminés par le boulanger au début du mois, en effet. Si, à la fin du mois, le boulanger n’a pas réussi à vendre les six milles baguettes prévues, ou se rend compte qu’il aurait pu en vendre huit milles, alors il y aura un constat à faire et une discussion à établir entre le boulanger et les comités économiques pour identifier le problème et pour le résoudre : faut-il réduire le nombre baguettes produites, ce qui augmentera le prix ? Faut-il faire autre chose ? C’est toute l’organisation de la démocratie économique qui sera décisive sur ce point.
Yann. – Ici, on réfléchit avec un seul boulanger ; c’est l’approche individualiste capitaliste. Or, l’objectif n’est pas que chaque boulanger produise et vende exactement les six milles baguettes prévues. L’objectif d’une production de pain communiste est d’assurer une production globale, de produire globalement suffisamment de baguettes dans chaque UP pour que les citoyens puissent les acheter et les manger. C’est cela que les comités doivent viser : si un boulanger n’en vend que trois mille, si l’on a bien organisé la production, d’autres en auront vendu neuf mille pour compenser.
Bernard Q. – Je suis entièrement d’accord. Les comités économiques doivent avoir une vision générale de la production de pain locale lorsqu’ils discutent avec le boulanger de notre exemple.
Suzanne. – Ça ne va jamais tomber juste : on n’aura jamais un équilibre parfait sur un cycle entre la monnaie créée (total des salaires versés) et la monnaie détruite (total des ventes).
Bernard Q. – En effet, toute la difficulté du modèle est dans l’ajustement permanent pour atteindre cet équilibre de création-destruction monétaire. Les prix sont fixés en fonction des salaires et de la production anticipée pour le mois, et ceci ne peut être fait qu’en début de mois, pour pouvoir calculer les prix pratiqués durant ce même mois. Ensuite, ce qui sera vendu dans le mois ne sera pas nécessairement ce qui aura été produit dans le mois : il peut y avoir des choses produites auparavant,
avec d’autres prix. Et il y a d’autres aspects, ponctuels ou structurels, qui feront que l’équilibre ne sera pas parfait, comme l’épargne. Il y aura un lissage dans le temps. Il faut en permanence estimer et corriger le volume des ventes avec l’objectif de produire suffisamment, mais pas trop non plus.
Suzanne. – Quelle est donc l’échelle de temps pour ce lissage ?
Bernard Q. – Au moins l’année. Enfin, cela dépend des produits et des filières. Il reste encore beaucoup de travail pour identifier les sources de déséquilibres entre la création monétaire et la destruction monétaire, et pour faire en sorte que les personnes dépensent tout leur salaire.
1 Ce compte rendu a été établi à partir de notes prises sur le vif durant l’atelier, nécessairement partielles et incomplètes.
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