Femmes (pas toutes) confinées ou ce que cette crise sanitaire révèle de la place des femmes dans la société
Le mot « femmes » est employé dans cet article, non pas comme un fait biologique mais comme une construction politique qui révèle le genre/patriarcat/rapports sociaux de sexe, tout comme la notion de « race/racisé » révèle le racisme/les rapports sociaux de « race ».
Les décisions politiques sont prises par des hommes, à l’abri du Covid 19, à l’appui d’expertises d’hommes
Du côté du pouvoir politique, le président de la république est un homme. Parmi les ministres en première ligne en cette période, le premier ministre, le ministre de l’éducation nationale, le ministre de l’économie, le ministre du budget, le ministre de la santé, le ministre de l’intérieur sont des hommes.
Du côté des experts consultés pour aider à la prise de décision : 11 membres du conseil scientifique parmi lesquels 2 femmes. Le président du conseil est un homme.
Dans les postes à pouvoir il y a, partout, beaucoup plus d’hommes que de femmes. Dans ce gouvernement, il y a une seule ministre en première ligne pendant cette période : la ministre du travail. Pas plus que celles prises par des hommes, les décisions prises par des femmes ne sont un gage de vertu. Cependant, nous sommes 51% de femmes dans la société, il n’y a donc rien de légitime à ce que les femmes soient aussi peu présentes au pouvoir.
Le faible pouvoir détenu par les femmes, les personnes dominées en général, ne légitime que le point de vue, les expériences, les savoirs… des dominants. Et la société capitaliste patriarcale à tout intérêt à cela.
Pourtant, pendant cette crise sanitaire, ce sont majoritairement les femmes qui produisent, en s’exposant au virus
La majorité des activités qui sont aujourd’hui enfin considérées comme nécessaires dans le cadre d’un « retour à l’essentiel » est réalisée par des femmes:
- A 87%, pour les infirmières, les sages-femmes, à 91% pour les aides-soignantes, à 79% des professions paramédicales1 auxquelles il faudrait ajouter 56% des médecines et les secrétaires et comptables du secteur ;
- A 84% dans l’hébergement médico-social, social et l’action sociale sans hébergement2, notamment les EHPAD
- **A 70% dans le monde associatif3,**sans compter les bénévoles ;
- A 68% dans l’éducation, avec les enseignantes4;
- A 70% pour les caissières et les employées libre-service5;
- A 90% dans les services à la personne6, pour beaucoup d’entre elles, racisées ; c’est même 97% pour les seules employées de maison7
- A 80% dans les métiers non qualifiés du nettoyage, 20% sont des personnes immigrées**8**.
- A 70% dans le secteur du textile9, ou, à la maison, incluant les couturières qui confectionnent des masques, la plupart du temps gratuitement, pour pallier l’inconséquence des décisions prises à ce sujet en France.
- enfin, au domicile, dans le confinement, pour entretenir la maison, faire les courses, la cuisine, la vaisselle, l’aide aux devoirs 10. Rappelons qu’« en onze ans, le temps moyen journalier consacré par les femmes au travail domestique a baissé de 22 minutes, passant de 3h48 en 1999 à 3h26 et celui des hommes a augmenté d’une minute, de 1h59 à 2h. ». 78% du temps de travail domestique est ainsi réalisé par les femmes, hors contexte de crise du Covid 19.
Ces travaux très majoritairement produits par les femmes ont plusieurs points communs :
- il s’agit d’activités vitales, “nécessaires” ;
- il s’agit de travaux réalisés dans des conditions difficiles, avec des horaires atypiques, fractionnés, physiquement et mentalement épuisants, parfois même échappant au possible contrôle de l’inspection du travail (services à la personne au domicile, bénévolat).
- il s’agit de travaux gratuits ou mal payés. Rappelons que les hommes perçoivent un salaire plus élevé que les femmes, en raison d’une discrimination avérée, toutes choses égales par ailleurs (10,5 points en moins 11); mais aussi à cause du temps partiel qui n’est jamais réellement choisi (9,4 points de moins), du « plafond de verre » et de conventions collectives moins favorables (5,8 points de moins). Au final,les femmes gagnent 26% de moins que les hommes, ce qui revient à dire que les hommes perçoivent un salaire 35% plus élevé que les femmes;
- et il s’agit, aujourd’hui, de travaux qui exposent les travailleuses au Covid 19.
Selon certaines féministes, la distinction entre travail productif et travail reproductif s’impose avec l’avènement du capitalisme patriarcal12. Celui-ci opère une scission de l’activité humaine entre travail productif et travail reproductif, le travail reproductif n’étant pas considéré comme producteur de valeur économique. A Réseau Salariat, nous pensons que tout travail produit de la valeur. Mais, pour rendre visible et analyser la division qui existe entre travail reconnu et travail invisibilisé, soulignons que ces activités essentielles sont des composantes du “travail reproductif” et que ce sont les femmes et les personnes racisées qui portent l’essentiel de ces activités13.
Ce sont aussi les femmes qui, majoritaires parmi les familles monoparentales, souffrent davantage
En France, un quart des familles sont monoparentales. 84% des familles monoparentales sont composées d’une femme seule avec ses enfants. 20% survivent dans des logements surpeuplés. Environ 35% des personnes vivant dans une famille monoparentale sont pauvres 14. Il y a fort à parier que ces femmes ont souffert plus encore qu’en temps normal, affrontant seule l’aide aux devoirs, dans l’impossibilité de compléter leurs revenus par des “petits boulots”.
Ce sont aussi les femmes, prostituées, qui sont plongées dans la pauvreté, l’exposition au Covid 19 et au cyber-harcèlement
Le confinement et les gestes barrières ont pu aggraver la situation des prostituées. Elles sont encore plus en première ligne du risque d’expulsions, elles et leurs enfants. Pour survivre, certaines s’exposent encore davantage au Covid 19 et au cyber-harcèlement.
Ce sont enfin les femmes qui subissent des violences conjugales exacerbées
Partout on constate une hausse des signalements de violences faites aux femmes : elles sont la cible de tous types de violences psychologiques, verbales et physiques, jusqu’à en mourir, dans l’impunité la plus totale des auteurs. Les services de police et de gendarmerie ont enregistré une augmentation des signalements de violences conjugales sur tout le territoire : +32% en zone gendarmerie, +36% dans la zone de la Préfecture de police de Paris. L’association France Victimes déplore également une recrudescence des sollicitations depuis le 17 mars : 24% des situations prises en charge concernaient des violences conjugales, soit une augmentation de 71% par rapport à la même période en 2019.
Rappelons qu’en moyenne en France, 220 000 femmes par an subissent des violences physiques et/ou sexuelles et en 2017, 130 femmes sont décédées. 86 % des victimes de violences conjugales sont des femmes 1et que la quasi-totalité des auteurs sont des hommes.
Comment la classe dirigeante a pris en considération ces constats ?
“Il y a des fleurs, des décorations toujours disponibles pour couronner le front du bétail les jours de fête ou de foire” (Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir. L’idée de nature, Editions iXe, 2016, p 44)
La classe dirigeante a prévu en France 4 milliards d’euros pour les soignants et les soignantes,0.9 milliard pour les pauvres, 7 milliards pour les indépendant.es.
Côté capital, la classe dirigeante a mobilisé 400 milliards d’euros de crédits, de financement du chômage technique (appelé “activité partielle”) et d’entrée au capital des entreprises nationales. Aucune estimation n’a été diffusée pour les exonérations de cotisations sociales pour les Toutes Petites Entreprises de certains secteurs. Et il y a fort à parier qu’elles ne seront pas compensées par la fiscalité, puisque le gouvernement a décidé qu’une partie des nouvelles exonérations ne seraient plus compensés par l’Etat dès 2019. C’est autant d’argent en moins pour financer la santé et la retraite et fabriquer le “trou de la sécurité sociale.
Le déséquilibre est patent entre le travail, les pauvres et le capital.
Contre les violences faites aux femmes et leur recrudescence, la classe dirigeante a autorisé les signalements dans les pharmacies.
Au final, que nous disent ces mesures d’un point de vue féministe ? **Que la classe dirigeante n’a tiré aucune leçon de la place centrale des femmes dans cette crise sanitaire,se retranchant derrière un faux universalisme.**Qu’elle est loin de répondre à l’urgence des violences conjugales.
Elle ne sait qu’applaudir à 20h00 et remettre des médailles. Du mépris.
Au lieu de mettre des fleurs sur le front du bétail les jours de crise, construisons une égalité réelle avec Réseau salariat
Réseau Salariat propose une alternative au mode de production capitaliste. Cette alternative constitue un levier pour attaquer le patriarcat.
- le salaire à vie,la garantie de l’indépendance matérielle
… contre l’inégalité salariale,
contre la gratuité du travail domestique et éducatif,
pour l’autonomie monétaire et la limitation des violences faites aux femmes, pour l’abolition de la traite des femmes.
Le salaire à vie, qui reconnaît la personne comme productrice de richesse et titulaire d’un droit politique permet à chaque femmede s’affranchir d’une dépendance économique avec un homme. Le salaire à vie est attribué à chaque personne, sans possibilité de retrait. L’extension de la cotisation sociale à l’alimentation 16 participe de cette visée.
- Des droits politiques pour décider : une représentation égalitaire dans les caisses de salaire, d’investissement et de services publics ; des droits égalitaires par la copropriété d’usage de l’outil de production …
… contre les décisions politiques majoritairement à la main des hommes,
contre la division sexuelle et hiérarchique du travail dans l’emploi,
contre le déséquilibre sexuel des tâches domestiques,
contre les activités nocives,
pour la valorisation des activités essentielles
Dans le projet de Réseau Salariat, les caisses de salaires, de services publics et les d’investissement sont gouvernées par les salarié.es, à l’image des caisses du régime général de sécurité sociale jusqu’en 1967. Ce sont eux et elles qui sont copropriétaires d’usage des unités de production.
Dans les structures de production, la copropriété d’usage est la norme, donnant de fait à chaque membre,quels que soient son sexe et sa « race », les mêmes droits à décision. Par exemple, dans une coopérative de 90 femmes et 10 hommes, il aurait 90 % des voix détenues par les femmes et 10 par les hommes ; dans la même coopérative, avec 20 salarié.es racisé.es, il aurait 20% de voix leur appartenant.
Les mandataires dans les caisses doivent être à l’image de la population, donc avec une proportion de personnes racisées et de femmes.
Toutefois, avec ces mesures, nous n’éviterons pas que les prises de décisions restent encore déséquilibrées en faveur des dominants, bien souvent des hommes blancs. Nous sommes en réflexion sur cet enjeu et travaillons plusieurs pistes.
Les décisions prises dans les caisses d’investissement donnent la priorité aux activités essentielles, parmi lesquelles celles recensées plus haut, sans exhaustivité. La culture (63% de femmes), la production alimentaire écologique doivent par exemple être incluses.
Les caisses de salaires, d’investissement et de services publics étant des lieux de pouvoir, il est impératif d’envisager une institution de contre-pouvoir dont la mission sera de veiller à ce que les mécanismes d’inégalités ne se (re)produisent pas.
Une échelle de salaires comme étape vers un salaire unique, garant de l’égalité
Il faut introduire des critères dans les échelles de salaire à vie qui permettent d’en finir avec les ségrégations genrées et racistes décrites précédemment. En l’état actuel de nos réflexions,nous proposons de placer en haut de l’échelle du salaire à vie les activités essentielles - à définir collectivement - jusqu’à ce que l’égalité dans la répartition femmes/hommes et la proportion blanc.hes/racisé.es dans la population soient atteintes. Le salaire à vie devient alors unique pour éviter un retournement qui verrait les hommes et les blancs privilégier les activités essentielles, mieux payées.
Le groupe « femmes » de Réseau salariat poursuit sa réflexion sur une approche féministe des thèses défendues par Réseau salariat et, plus largement, de la société.
Le groupe Femmes de Réseau salariat
1Document d’études – Dares – 2019 – Ségrégation professionnelle entre les femmes et les hommes : quels liens avec le temps partiel ?, p 61
2Source : Insee, Enquête emploi 2017. Champ : France, population des ménages, personnes en emploi de 15 ans ou plus.
3Les chiffres clés de la vie associative, Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, 2019, p 15.
4Source : Insee, Enquête emploi 2017. Champ : France, population des ménages, personnes en emploi de 15 ans ou plus.
5Ibid.
6https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281040#titre-bloc-7
7Document d’études – Dares – 2019 – Ségrégation professionnelle entre les femmes et les hommes : quels liens avec le temps partiel ?, p 61
8https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dares_analyses-metiers_du_nettoyage.pdf, p3 ; nous ne disposons pas de la part des personnes et des femmes racisées.
9Source : Insee, Enquête emploi 2017. Champ : France, population des ménages, personnes en emploi de 15 ans ou plus.
10Article de Libératon : https://www.liberation.fr/debats/2020/04/12/l-independance-des-femmes-la-victime-invisible-du-covid-19_1784891… et le groupe facebook Very bad virus
11Observatoire des inégalités, Les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes : état des lieux, 27 mars 2017.
12Notamment Silvia Federici, cf émission Dans le Texte, 25 mai 2019, “le capitalisme patriarcal”: https://www.hors-serie.net/Dans-le-Texte/2019-05-25/Le-capitalisme-patriarcal-id358
13Article Réseau Salariat “mais à l’avenir, qui va faire le ménage et ramasser les poubelles? {.Site.BaseURL}/articles/da66ee6bec690c6a4aa5870bb719ba29/
14https://insee.fr/fr/statistiques/4238395?sommaire=4238781
15Source: Observatoire national des violences faites aux femmes. https://stop-violences-femmes.gouv.fr/les-chiffres-de-reference-sur-les.html
16cf.<{.Site.BaseURL}/dossiers/38927ffccbfa76323dfb0fa7afe77057/>