Le revenu... même plus universel: la fausse bonne idée de B. Hamon

18/03/2017     LUC BROSSARD , ANTOINE DE CABANES

    Le revenu... même plus universel: la fausse bonne idée de B. Hamon

    Cette article a été rédigé par Luc Brossard (Réseau Salariat et Espace Marx) et Antoine de Cabanes (Espace Marx). Il a été précédemment publié sur le blog Espace Marx du site Médiapart.

    La campagne de Benoit Hamon aura eu un mérite : ramener dans le débat public une vieille proposition, celle du "Revenu universel". Mais de quoi s’agit-il exactement ? Qu’est-ce qui se cache derrière cette mesure apparemment révolutionnaire ? Quels en sont les fondements philosophiques, politiques et économiques ? Espaces Marx propose ici un éclaircissement des différents projets sur la table.

    Si la primaire de la Belle Alliance Populaire n’a pas été le moment de tirer les bilans exhaustifs de l’orientation néolibérale du quinquennat de François Hollande, elle aura eu le mérite de faire revenir dans le débat public une proposition à la fois ancienne et novatrice : le revenu universel. Benoit Hamon et Manuel Valls ont tous les deux proposé, dans leurs programmes, d’introduire un revenu de base et tous ont déclinés une version différente de ce revenu. Là où Benoit Hamon défendait un revenu universel de 750 euros par mois, versé à tous les français de plus de 18 ans, sans conditions de ressources, Manuel Valls proposait un « revenu décent » de 800 à 850 euros mensuels qui fusionnerait les minima sociaux et serait versé sous conditions de ressources (et de résider depuis au moins 4 ans sur le territoire national) aux personnes majeures les plus précaires. Le revenu de base avait commencé son retour sur la scène médiatique avec les débats de la primaire des écologistes où les 4 candidat-e-s s’accordaient sur la nécessité d’introduire un revenu de base mais divergeaient sur les modalités. Yannick Jadot (EELV) propose finalement un revenu de 535 euros par mois versé de la naissance à la mort là où Pierre Larrouturou (Nouvelle Donne) et Charlotte Marchandise (LaPrimaire.org) ont également inclus dans leurs programmes présidentiels une déclinaison du revenu de base tandis que Christine Boutin s’est revendiqué dès 2003 du « dividende universel ». Et depuis plusieurs années, une multitude d’associations et de mouvements (dont le plus connu est le Mouvement Français pour un Revenu de Base) popularisent et défendent dans la société la proposition du revenu universel. Enfin, plusieurs pays dont la Finlande et l’Islande s’apprêtent à mettre en œuvre une déclinaison du revenu de base, renforçant ainsi les débats autour de ce dispositif.

    Derrière le terme de revenu universel, véritable serpent de mer des débats portant sur la protection sociale, se cachent une multitude d’approches qui renvoient à des traditions intellectuelles très diverses, d’où le nombre de dénominations : revenu universel garanti, revenu d’existence, revenu de base, allocation universelle ... Afin de clarifier les débats autour du revenu universel, il faut en revenir aux différents paradigmes en la matière qui sont regroupés en deux traditions : l’une étatiste et redistributive et l’autre libérale.

    Fondements économiques et politiques du revenu universel

    La première approche du revenu de base est la plus ancienne historiquement ; elle trouve ses origines chez Thomas Moore dans Utopia (1516) avec l’idée que la puissance publique doit assurer l’existence matérielle des personnes composant la société pour éviter le vol et assurer la cohésion sociale. Thomas Paine, dans son ouvrage La justice agraire, reprendra l’idée d’un revenu inconditionnel (c’est-à-dire sans obligation de travailler) et universel (accordé à tous) mais en le justifiant par une exigence de justice (inspirée de Grotius) et non de stabilité comme Moore. Paine propose d’octroyer à tous les adultes une dotation inconditionnelle des produits des ressources naturelles qui devraient appartenir à tous et non bénéficier à une minorité. Une autre déclinaison de cette justification basée sur la justice fut instituée en 1795 par les lois de Speenhamland (ou « loi sur les pauvres ») qui créait un revenu minimum pour pallier aux risques de famine et assurer ainsi un « droit de vivre ». En 1834, ces lois furent abrogées car, aux yeux du patronat anglais, elles favorisaient l’assistanat, la paupérisation et la dévalorisation de la valeur travail, empêchant le développement d’un marché concurrentiel de l’emploi. Au XIXe le socialiste utopique Charles Fourrier s’inspirera de Paine pour théoriser une allocation universelle qui permettrait à tous de satisfaire ses besoins fondamentaux tandis que le mathématicien et philosophe Bertrand Russell défendra un revenu de citoyenneté inconditionnel « suffisant pour couvrir les besoins primaires » et assurer un confort minimal à tous. Ces premières ébauches conceptualisent un revenu universel et inconditionnel en le fondant sur l’exigence d’une juste répartition des ressources naturelles qui sont la propriété commune de l’humanité ; ce revenu serait versé à chaque individu en sa qualité d’être humain qu’il soit actif ou oisif, riche ou pauvre. L’économiste américain de tradition keynésienne James Meade reprend cette légitimation basée sur la justice pour la combiner avec l’efficacité économique : le revenu universel permet de rémunérer des activités qui ne le sont pas dans le cadre économique actuel (travail domestique) et de partager plus équitablement la richesse produite tout en réduisant l’extrême pauvreté, assurant ainsi un fonctionnement plus solidaire de la société et une économie répartissant mieux les richesses. Le revenu universel serait ainsi un outil de redistribution tout en garantissant un niveau de vie décent aux plus pauvres et une capacité à consommer malgré le chômage. La version développée par Meade dans les années 1960, s’appuie sur une exigence de justice sociale et une vision de la société dans laquelle l’Etat providence est le garant que chaque personne bénéficie d’un revenu suffisant pour vivre et s’affranchit ainsi du travail, minorant le poids du patronat et développant l’activité extra-salariale, tout en corrigeant les inégalités.

    A l’inverse de cette vision étatiste et redistributive, une seconde approche du revenu universel s’ancre dans la tradition libérale et notamment de l’économie néoclassique. Le point de divergence dans l’inspiration philosophique réside dans la permissivité vis-à-vis de l’oisiveté : le socialiste utopique Joseph Charlier considère que le revenu universel ne doit pas permettre l’oisiveté mais seulement la survie et son montant doit désinciter à la paresse : « Tant pis pour les paresseux qui ne veulent pas travailler, ils devront se contenter de ce minimum ». Milton Friedman, dans Capitalism and Freedom, théorise l’impôt négatif : il s’agirait d’un revenu, attribué sous forme de crédit d’impôt aux plus pauvres, qui correspondrait au minimum nécessaire pour survivre. Dans ce système, le revenu se substitue à toutes les prestations sociales et devient un rempart contre la pauvreté, accordé sous conditions de ressources et d’un montant insuffisant pour vivre décemment afin d’inciter les individus à exercer un emploi et ainsi combattre l’oisiveté. Il s’agit ici d’un revenu qui reste universel car chaque individu peut y prétendre, qu’il soit chômeur ou non (à condition d’être dans une situation de pauvreté) mais qui s’oppose à l’inconditionnalité laquelle risquerait d’encourager les comportements de passager clandestin ou de « surfeur de Malibu » pour reprendre le concept de John Rawls. Dans la perspective libérale, le revenu de base permet de limiter au maximum le montant des prestations sociales et les interventions de l’Etat providence (qui sont réduites au seul objectif d’empêcher l’extrême pauvreté et de garantir la survie des individus) tout en incitant au travail dans un cadre dérégulé. Pour le libertarien Charles Murray, le revenu universel doit se substituer à l’ensemble des transferts sociaux et permettre de déréguler intégralement le marché du travail tout en développant les assurances privées. En effet plus besoin de salaire minimum ni de protections juridiques contre le chômage si les individus bénéficient d’un filet de sécurité garantissant leur survie.

    Une palette de dispositifs radicalement différents : de la déclinaison néolibérale à la lutte contre l’aliénation

    Ces deux traditions philosophico-économiques sont des idéaux-types qui imprègnent le concept de revenu universel et ses déclinaisons telles qu’elles ont été théorisées depuis un demi-siècle. En effet, les propositions et les quelques expérimentations du revenu universel ont tendance à rejoindre l’une ou l’autre de ces approches ; on a ainsi un large éventail des différentes options de revenu universel allant de la version néolibérale stricte à une forme étatiste et redistributive d’inspiration communiste. Plusieurs paramètres permettent de constater déclinaison de ces diverses options sur un axe allant du pôle néolibéral au pôle étatiste/redistributeur le plus progressiste : qui en sont les bénéficiaires et sur quels critères (âge, conditions de revenu ou non, statut professionnel), quelle place parmi les autres sources de revenus (cumulable avec un salaire, avec des prestations, destiné à les remplacer pour tout ou partie), quelle modalité de versement, comment est-il financé et pour quel montant. Ces indicateurs nous permettront de classifier les principales propositions existantes et de voir comment sont transcrites les inspirations philosophico-économiques dans les dispositifs concrets.

    Gaspard Koenig, président du think-tank Génération Libre, et Marc de Basquiat sont les représentants français les plus emblématiques de la version libérale du revenu universel : dénommé Liber, leur revenu serait un crédit d’impôt d’un montant de 450 euros par adulte et 225 euros par enfant, financé par la suppression de toutes les aides et allocations existantes dont le budget serait réaffecté et par la création d’un impôt à taux unique (flat-tax) de 23% sur tous les revenus, se substituant au système d’imposition actuel. Ce dispositif constituerait un filet minimal de protection sociale qui, sous couvert de lutte contre les trappes à pauvreté, serait profondément anti-redistributif et augmenterait considérablement les inégalités tout en démantelant la protection sociale. Cette vision du revenu universel est bien évidement adossée à des propositions de dérégulation du marché du travail et de valorisation des dynamiques d’uberisation des emplois. Le rapport Sirugue, tout comme la proposition de Manuel Valls, constitue une version intermédiaire, social-libérale du revenu universel : financé par la fusion des minimas sociaux, il n’impliquerait aucune modification du système d’imposition mais permettrait d’assurer un revenu versé automatiquement aux individus majeurs les plus précaires. Il s’agirait d’une version simplifiée du RSA actuel qui ne concernerait plus les étudiants et permettrait de résoudre le problème des ayants droits aux minimas sociaux qui ne les demandent pas. Cette version social-libérale, tout comme la déclinaison ultra libérale de Koenig et de Basquiat, semble aux antipodes de l’engouement suscité (par intermittence depuis 40 ans et continument depuis quelques années) au sein de la gauche et particulièrement de la gauche antilibérale par le revenu universel. Cependant elles ont en commun avec les propositions redistributives et étatistes de s’inscrire dans une même remise en cause de l’idée que seul un travail procure un revenu.

    Du côté de la version étatiste/redistributive, le point de départ du raisonnement n’est pas une nécessité de réorganiser les minimas sociaux pour pérenniser et rationnaliser la distribution de revenus minimums (dont le premier remonte à 1988, le RMI mis en place par Michel Rocard), pas plus qu’une volonté de démanteler la protection sociale et le droit du travail. Le revenu universel comme réponse adéquate aux défis du XXIe siècle réside dans l’identification desdits défis : les mutations du travail et son éventuelle raréfaction, la transformation des parcours de vies personnelles et professionnelles, et ce dans une perspective fondée sur la solidarité et la redistribution. La transformation du travail renvoie aux mutations nées de l’accélération de la division internationale du travail, de l’introduction des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), de la robotisation des processus de production. La première mutation est une transformation du travail qui induit la nécessité d’une main d’œuvre qualifiée et mobile, capable de changer d’activité et de se former. La seconde crée de nouvelles formes d’emplois dans son interprétation schumpetérienne voire conduit à une diminution de la demande en travail, du fait du nombre croissant de tâches assurés grâce et par des machines et des gains de productivité ainsi générés. Un revenu universel permettrait d’une part d’assurer une continuité de revenus pendant des périodes de chômage née des frictions causées par la mutation du tissu productif, mais aussi pendant les périodes de formation, tout en procurant un revenu à tous dans l’hypothèse d’une raréfaction du travail. Si l’on considère les mutations du travail générées par la dérégulation néolibérale (dégradation des conditions de travail et stagnation des salaires), le revenu universel porté à un niveau suffisant permet aux salariés de gagner en marge de manœuvres pour accepter ou refuser un emploi et de réduire ainsi leur dépendance vis-à-vis de l’exercice d’une activité professionnelle. En permettant aux individus de refuser les jobs à 1 euros ou les emplois les plus pénibles, le revenu universel favorise un rééquilibrage dans les rapports entre travailleurs et employeurs et constitue ainsi une réponse pertinente aux évolutions dans le rapport au travail. Enfin le revenu universel est attaché à l’individu et non au foyer fiscal, répondant ainsi à une exigence d’émancipation individuelle et d’attachement des droits à la personne.

    Parmi les propositions de revenu universel dans une perspective étatiste et redistributive qui existent, on commencera par analyser celle du revenu d’existence de Yoland Bresson et Henri Guitton. Si le montant de l’allocation est similaire aux propositions du rapport Sirugue, ces économistes défendent un revenu qui soit versé à tous et soit inconditionnel afin de libérer les individus de leur dépendance à l’emploi salarié et d’atténuer la dichotomie entre chômeurs et personnes en activité ainsi que la segmentation du marché du travail entre insiders et outsiders. Mylondo défend quant à lui un revenu pour tous qui est également universel et inconditionnel, versé tout au long de la vie, mais qui permet également, par son montant, de ne pas dépendre d’un emploi. Le revenu pour tous reconnaitrait ainsi en chaque individu un créateur de richesses par ses activités, qu’elles soient liés ou non à un emploi et les rémunéreraient ainsi sans discriminer entre emploi et activités hors emploi. Thomas Piketty, Dominique Méda et plusieurs autres économistes ont amenés dans le débat la proposition d’un revenu universel d’existence, sous conditions de ressources, pour réduire la pauvreté et redonner du pouvoir d’achat aux salariés touchant les salaires les plus bas. L’introduction de ce revenu est théorisée dans une perspective de complémentarité avec une réforme fiscale et la mise en œuvre d’un « salaire juste » afin de permettre une synergie et d’éviter de reprendre par l’impôt ce qui aura été redistribué via le revenu d’existence. Pour sa part Bernard Stiegler propose de mettre en place un revenu contributif qui soit universel, d’un montant suffisant pour ne pouvoir choisir de ne pas exercer d’emploi, mais conditionné à une activité social et collaborative induisant la production d’externalités positives. Ce revenu serait une forme d’extension du régime des intermittents du spectacle à l’ensemble de la population. Enfin André Gorz propose un revenu d’autonomie qu’il théorise comme une solution pour limiter voire mettre fin à l’aliénation au travail consubstantielle au capitalisme. Son analyse s’inscrit dans une perspective marxiste et tire sa version du revenu universel d’une ébauche de dispositif présent dans les Grundrisse. Ce revenu doit être alloué à tous les individus et être d’un montant suffisamment élevé pour leur permettre de ne pas avoir à accepter un emploi : ainsi le revenu d’autonomie sort l’individu de la dépendance vis-à-vis de l’employeur et lui permet de refuser un travail mal rémunéré ou de mauvaises conditions de travail. Pour Gorz, allouer à tous les citoyens une allocation leur permettant de ne plus dépendre d’un emploi permet d’enclencher une dynamique de mise en commun des richesses socialement produites.

    Le salaire universel : changement de sémantique pour un changement de société

    Ces différentes formes prises par le revenu universel partagent plusieurs ambitions : une réduction voire une éradication de la pauvreté (ou de l’extrême pauvreté) et une simplification du versement d’un revenu minimum aux individus (soit par la fusion des dispositifs en un revenu de base, soit via un versement automatique). Selon son inspiration le revenu universel reconnaitra également une plus ou moins grande place à la création de valeur issue des activités sociales menées en dehors de l’emploi salarié stricto sensu et cette reconnaissance permettra de sortir des logiques de stigmatisation des chômeurs, des bénéficiaires de minima sociaux. Enfin, les déclinaisons inconditionnels du revenu universel qui prévoient un montant alloué suffisant pour laisser le choix d’exercer ou non un emploi renforcent cette dynamique et initient ainsi une perte de centralité de l’emploi, à la fois comme source de revenus, comme activité sociale principale et comme relation structurant le champ économique. Dans ses versions les plus redistributives, le revenu universel devient même un outil de correction des inégalités qui limite la part de la valeur ajoutée captée par les franges les plus riches de la population.

    Cependant le revenu universel, même dans ses déclinaisons les plus étatistes et redistributives, présente des limites quant à sa capacité à constituer une alternative aux relations de domination, d’exploitation et d’aliénation qui caractérisent le marché du travail dans un mode de production capitaliste. Souvent présentée comme l’antithèse du revenu universel, le salaire universel partage avec le revenu universel la volonté de distinguer activités socialement productives et emploi, par contre le salaire universel ne se contente pas de valoriser les activités qui ne sont pas inclus dans les emplois stricto sensu, il s’agit d’un dispositif conçu pour sortir le travail de toute logique marchande. Bernard Friot, le sociologue et économiste qui a conceptualisé le salaire universel (ou salaire à vie) reprend la distinction opéré par Marx entre travail abstrait et travail concret et avance l’idée que le marché de l’emploi, en tant qu’institution, empêche le travail concret car il lui adjoint systématiquement un travail abstrait nécessaire pour rémunérer le capital. Bernard Friot propose une réappropriation discursive du terme de salariat, pour le sortir de la conception capitaliste, considérant que la pratique salariale de la valeur est en opposition frontale avec la pratique capitaliste de la valeur. Le salaire universel, initialement conceptualisé par Barnard Friot, est aujourd’hui promu, diffusé et défendu par une association d’éducation populaire, Réseau Salariat qui mène également un travail d’approfondissement théorique du dispositif et de ses modalités d’application éventuelle. Réseau Salariat défend une distinction entre travail et emploi, se différenciant ainsi du revenu universel qui distingue l’activité de l’emploi. Il s’agit, par le rapport de forces, de redéfinir le signifiant de « travail » mais aussi de « salaire » et de l’associer à la qualification individuelle et à la cotisation. L’objectif est de faire reconnaître comme travail et donc valorisé comme tel par un salaire toutes les formes de travail abstrait qui existent aujourd’hui en dehors du périmètre salarial : travail non payé des étudiants et des chômeurs, travail des retraités, travail non marchand des soignants, alors qu’ils sont financés par des cotisations (cotisation maladie, cotisation familiale). En faisant de l’ensemble de la population majeure des travailleurs qui ne sont plus subordonnés à un employeur, le salaire universel abat le diktat de la marchandisation du travail, régi par les lois de l’offre et la demande mise en place par le capital. Par ailleurs, le revenu universel ne remet pas en cause la possession des moyens de production : la mise en place du revenu universel n’implique pas de modifier radicalement le rapport de force entre capital et travail dans le contrôle de l’outil productif. Or la redéfinition de la propriété des moyens de production est la seule solution permettant d’interdire la propriété lucrative et d’y substituer la propriété d’usage. Le salaire universel se fonde sur la nécessité de la réappropriation des moyens de production par les citoyens, pour précisément assurer les conditions d’extension du mécanisme de cotisation. De cette manière on arrivera à attribuer une qualification (à partir de 18 ans et valable à vie) à la personne et cette qualification est rétribuée par un salaire mensuel compris entre 1500 euros et 6000 euros selon ladite qualification. Ainsi avec le salaire universel, garanti à vie, Bernard Friot et les défenseurs du salaire universel promeuvent un dispositif qui inclut à la fois un ambitieux projet redistributeur, la socialisation des moyens de production (et l’autogestion par les travailleurs des caisses gérant les cotisations) ce qui permet d’éradiquer définitivement la propriété lucrative. Les différences sémantiques activité/travail et salaire/revenu (universel) ne sont pas marginales, elles portent sur le cœur de cible du dispositif : quand le revenu universel cible la protection sociale, le salaire universel s’attaque à la répartition de la valeur ajoutée pour qu’elle serve intégralement à financer les cotisations et les salaires (et ainsi les impôts).

    La confusion entre les différentes formes de revenus universels, du fait de leurs modalités divergentes (divergence née d’une concrétisation inaboutie de leur origine philosophique en dispositifs opérationnels) ne mène que trop souvent au triomphe de la version la plus libérale. Les pays dotés d’un solide système de protection sociale sont touchés par les politiques d’austérité qui ont pour effet, et ce particulièrement en Europe, de réduire drastiquement la voilure, les capacités opérationnelles et les financements des dispositifs de protection sociale existant. L’impératif budgétaire assure à la version libérale du revenu universel une consécration idéologique très large, écrasant les formes redistributives et étatistes. En Finlande l’expérimentation du revenu universel se focalise quasi exclusivement sur la nécessité d’éviter de sombrer dans une trappe à pauvreté ; le projet, d’inspiration très libérale voit un revenu de 560 euros remplacer les allocations chômage. En France le candidat du PS, Benoît Hamon, après moult errances dans la définition précise de sa version du revenu universel, propose un revenu universel d’existence qui ne fait qu’introduire une augmentation du RSA et son extension aux 18-25 ans ; l’élargissement du dispositif à l’ensemble de la population, son articulation avec les aides sociales existantes, son financement et le calendrier de mise en œuvre étant renvoyé aux calendes grecques. Il va sans dire que la rupture avec l’ordre néolibéral est loin, la proposition de Hamon s’apparente bien davantage à l’enfumage du discours du Bourget qu’à un réel projet émancipateur. Ce remodelage a minima des aides sociales n’entamera ni la propriété capitaliste des moyens de production, ni la marchandisation du travail, pas plus qu’il ne sortira de la pauvreté les français touchés par la précarité. Il s’agira au mieux d’un pansement sur une jambe de bois, au pire d’une nouvelle dénomination pour le RSA et la perpétuation de la logique d’assistance véhiculée par les minimas sociaux, assistance qui n’empêche pas 8,5 millions de français de vivre sous le seuil de pauvreté.

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