Revenu de base ou salaire à vie ? Entretien avec Christine Jakse

04/05/2016     REVUE BALLAST

    Revenu de base ou salaire à vie ? Entretien avec Christine Jakse
    « Face à la détresse de la jeunesse, le retour du débat sur le revenu universel », titrait Le Monde la semaine dernière. Quelques jours plus tard, Europe 1 enfonçait le cou : « Le revenu universel fait son retour dans le débat politique ». L’idée est simple : permettre à chaque citoyen de (sur)vivre sans dépendre du marché de l’emploi, et ce par le versement d’une somme mensuelle — de 400 à 1 000 euros, selon ses divers défenseurs. Parmi ses opposants, on compte notamment les partisans du « salaire à vie ». Le revenu de base, avancent-ils, fait l’affaire du capitalisme : or c’est précisément lui qu’il s’agit de supprimer… Pour ce faire, les militants du salaire à vie défendent l’abolition définitive du marché de l’emploi via l’instauration de droits salariaux attachés à la personne et non à un emploi. Les citoyens se verraient rémunérés sur une échelle de 1 à 4, la propriété lucrative serait interdite et les travailleurs s’empareraient de l’ensemble des décisions liées à la production — le tout dans une perspective écologique. Le premier volet de notre débat donnait la parole au philosophe et économiste Philippe Van Parijs, soutien de longue date du revenu de base ; ce second volet la donne à Christine Jakse, membre du Réseau salariat et autrice de L’Enjeu de la cotisation sociale.

    Vous affirmez que le salaire hors de l’emploi1 — retraite, allocations, etc. — que perçoivent les retraités, les parents ou les chômeurs, est la reconnaissance d’une production de valeur économique de la part de ces personnes. En quoi cela est-il plus émancipateur pour eux de toucher un salaire lorsqu’ils sont hors de l’emploi plutôt qu’un revenu de base ?

    Le revenu de base défendu par Philippe Van Parijs — d’autres versions existent : je me polariserai donc sur celle-ci — n’a pas vocation à émanciper son bénéficiaire du système capitaliste. Il peut même, au contraire, l’accompagner ou, pire, le légitimer. Le fondateur de la société DM-Droguerie Markt, Götz Werner, ne s’y est pas trompé : il voit dans le revenu de base la possibilité d’améliorer la productivité de ses employés… Le salaire à vie, au contraire, a vocation à présenter une alternative à ce système économique — et donc à nous en émanciper. En se fondant sur l’expérience du salaire socialisé des retraités, des parents, des chômeurs ou des soignants, le salaire à vie vise à reconnaître la qualité politique de producteur des individus à partir de 18 ans (ou 16 ans : ce point est, comme l’ensemble de la proposition, à débattre). Or cette reconnaissance de la qualité politique de producteur dont nous sommes tous porteurs est déniée dans le système actuel : qui maîtrise la production, son contenu, sa quantité, sa qualité, les moyens et conditions de sa mise en œuvre, les investissements nécessaires ? Certainement pas les salariés, si ce n’est dans le cadre, par exemple, de coopératives. Qui, donc ? Plutôt le conseil de surveillance ou le conseil d’administration des entreprises et les actionnaires — qu’on appelle, avec un incroyable aplomb, les « investisseurs »…

    Le déni de notre légitimité politique à décider s’opère notamment parce qu’il y a un marché du travail : une institution clé du capitalisme. Sans lui, pas de production de valeur, et surtout pas de plus-value : l’ultime finalité du capital. Ce marché, sur lequel on va « vendre notre peau », pour reprendre l’expression de Marx, fait de chacun de nous une force de travail dont le capital cherche à accroître la productivité. Son intérêt est de la payer en proportion de cette productivité : c’était hier, en France, le salaire à la pièce ou à la tâche et la prime au rendement ; c’est, aujourd’hui, la prime de résultat ou de performance. Il s’agit là des formes de revenus les plus aliénantes. Les conventions collectives, en inventant des grilles en fonction de la qualification professionnelle ou, mieux, le statut de la fonction publique d’État, en inventant le traitement en fonction de la qualification personnelle, nous en ont partiellement soustraits.

    C’est dire que se débarrasser totalement du marché du travail pour enfin maîtriser les décisions afférentes à la production, tout en se débarrassant du capital, ouvre des perspectives d’émancipation : le retraité qui produit dans son jardin, sa maison, son conseil municipal, son association, le parent qui élève son enfant, le chômeur qui fait tout ceci en plus de chercher un emploi, le soignant qui produit la santé, sans être évidemment totalement affranchi de toute contrainte, ne subit pas celles d’un employeur pressé de produire plus et mieux pour gaver ses actionnaires de dividendes. Sur le modèle des salariés actuels payés par la cotisation sociale, il s’agirait d’étendre l’expérience à l’ensemble des adultes, de 18 (16) ans jusqu’à la mort. À raison d’un salaire net moyen d’environ 2 000 euros (selon une échelle variant de 1 à 4), le total des salaires représenterait 60 % du PIB actuel (2 000 milliards d’euros). Autant qu’aujourd’hui, mais avec un écart de 1 à 4.

    La notion de « production de valeur économique » est très présente chez vous. En quoi le salaire à vie peut-il stopper la démesure qu’engendre le capitalisme en terme de dégâts sanitaires pour les personnes et leur environnement ? Ou, dit autrement : en quoi serait-il moins productiviste que le revenu de base ?

    Le salaire à vie, qui ouvre un droit politique, n’est qu’une partie du projet. La seconde clé est la copropriété d’usage des entreprises par les salariés2. Ainsi, les producteurs que nous sommes pourront maîtriser la production de valeur économique, en lieu et place du capital actuellement. En sortant du capitalisme, la finalité n’est donc plus l’accumulation de marchandises pour assurer l’accumulation financière. Je vois à cela trois conséquences du point de vue sanitaire et écologique. D’abord, les techniques justifiant la surproduction, comme la publicité qui pénètre jusqu’à nos domiciles, la mode ou encore l’obsolescence programmée, n’auraient plus de raison d’être. Ensuite, l’accumulation de marchandises n’étant plus justifiée, les quantités de matériaux à retraiter et les ressources non renouvelables consommées de façon irréversible seraient mécaniquement réduites. Enfin, en confiant aux producteurs eux-mêmes la maîtrise des décisions relatives à la production, et en leur garantissant un salaire à vie, on leur donne la possibilité de fixer des critères guidés par d’autres considérations que le productivisme — notamment des critères écologiques et respectueux de l’être humain. Ces critères pourront s’imposer dans l’entreprise elle-même, puisque les salariés en sont copropriétaires, et donc codécideurs, ou dans des caisses d’investissement3.

    Le revenu de base n’ayant pas vocation à remettre en cause le système capitaliste, mais bien plutôt à se reposer sur lui pour assurer nos besoins matériels, ce dernier peut continuer à accumuler les marchandises à l’infini — du moins jusqu’à l’épuisement des ressources : passage obligé pour obtenir de l’accumulation financière… Le revenu de base part du constat que le plein-emploi n’est pas atteignable. Mais il n’est pas besoin du plein-emploi pour tendre vers l’accumulation infinie de marchandises : la hausse de la productivité suffit, et elle est même recherchée par le capital ! Dans cette perspective, le ralentissement de la démesure, ou son arrêt, et les dégâts qu’elle engendre ne peuvent compter que sur la régulation des États — qui n’en suivent pas le chemin, les intérêts des uns se mêlant aux intérêts des autres.

    Le revenu de base est une idée simple, alors que le salaire à vie consiste en un empilement d’institutions qui suppose le renversement d’un grand nombre de pratiques économiques. Un changement de paradigme qui prendrait sans doute, au mieux, des décennies ! N’est-ce pas trop tard pour l’urgence écologique qui est la nôtre ?

    Le revenu de base est sans doute une idée simple, parce qu’il s’inspire fortement du RMI ou du RSA, mais surtout parce qu’il s’inscrit dans des institutions connues, dominantes, fortement intériorisées, et donc apparaissant comme des évidences. Parmi ces institutions, citons l’État dans son rôle de garant de la justice sociale — c’est-à-dire de correcteur des conséquences du capitalisme en terme d’inégalités sociales, menaçantes pour l’ordre social — et le marché du travail, sur lesquels le revenu de base s’appuie. Je vous rappelle l’accueil très favorable qu’une partie du patronat a réservé à cette proposition. Citons aussi la propriété lucrative et le crédit avec intérêts, que le revenu de base ne remet pas en cause. C’est d’ailleurs parce qu’il accompagne le système capitaliste ou qu’il ne le remet pas en cause que le revenu de base est défendu — avec toutefois des niveaux de montant différents — à la fois par le Parti socialiste, les partis libéraux, le patronat, certains Verts, etc. C’est pourquoi, me semble-t-il, il « parle » aux gens. Le salaire à vie s’inspire d’une institution qui nous est également familière, la Sécurité sociale. Mais le caractère subversif de celle-ci lui est dénié — ce qui suppose un gros travail pour le voir. L’histoire qui nous est racontée depuis plusieurs décennies à son sujet est celle, au mieux d’une institution de justice sociale, de solidarité ; au pire, d’un « trou » abyssal sans fin, qu’il faut sans arrêt tenter de combler en réduisant la dépense sociale. Son histoire est même souvent ignorée, quand elle n’est pas purement et simplement dévoyée. Beaucoup pensent par exemple que de Gaulle en est le père, quand c’est Parodi qui a signé les ordonnances, et surtout Croizat, avec l’appui de Pierre Laroque. Sans parler de la CGT, qui les ont mises en œuvre. De Gaulle y était farouchement opposé, comme le MRP, la Mutualité, la CFTC, etc. Et ils s’y sont attaqués dès 1945 !

    La pension de retraite, l’allocation familiale, l’indemnité chômage, l’indemnité journalière ou le salaire des soignants ne sont pas des prestations sociales, mais des illustrations du salaire à vie, en chair et os si je puis dire, fondées sur un principe unique et simple hérité de 1945 : un financement par la cotisation sociale, gérée initialement par les représentants des salariés. Ce caractère subversif, les opposants au salaire à vie l’ont bien saisi ! Ils ont décidé de fractionner la Caisse et le taux de cotisation unique prévu en 1945 — « diviser pour mieux régner » prend ici tout son sens —, d’étatiser une partie de la Sécu — notamment par la fiscalisation et les réformes renforçant le pouvoir des directions des caisses, au détriment des conseils d’administration —, d’instaurer un strict paritarisme dans la gestion, de geler tour à tour les taux de cotisation. Les opposants à la Sécurité sociale comme institution révolutionnaire s’ingénient avec succès à parler de « charges sociales » ou de « coût du travail » au lieu de « salaire socialisé », et de passer sous silence l’investissement socialisé réalisé dans les CHU depuis les années 1960. On n’est donc pas dans de la science-fiction : le salaire à vie n’est pas une perspective pour dans des dizaines d’années ou plusieurs siècles : il est déjà à l’œuvre !

    Par ailleurs, le salaire à vie ne s’inscrit pas dans un empilement d’institutions mais dans la continuité d’une seule, la « cotisation patronale » (bien mal nommée, puisqu’elle est un morceau de la valeur ajoutée produite par les salariés, les petits patrons et les indépendants — et eux seuls) et, plus généralement, la Sécurité sociale. Contrairement au revenu de base, qui suppose une réforme fiscale (notamment de l’impôt sur le revenu, de la prime pour l’emploi et du RSA, voire de la TVA), il suffit de mettre fin au gel du taux de cotisation patronale pour étendre puis généraliser le salaire socialisé et l’investissement socialisé, et redonner le pouvoir aux salariés. Bref, il suffit d’une décision politique de même nature que celle qui a été prise en 1945. Et nous ne serions pas capables de réengager ce processus, bloqué depuis 1967 pour sa gestion et, depuis le milieu des années 1990, gelé en ce qui concerne l’ensemble des taux de cotisation, quand nos aînés ont mis dix mois pour installer 113 caisses primaires de sécurité sociale et 123 Caisses d’allocation familiale ?

    On peut néanmoins peiner à voir quelle serait la prochaine étape, accessible à relativement court terme, dans le déploiement du salaire à vie… Qu’est-ce que celui-ci apportera comme bénéfices, en lui-même ?

    On réunifie le taux et les caisses. On en revient à une gestion par les intéressés, comme inscrit dans le programme du CNR4 de 1945. Ce point est évidemment déterminant — c’est pourquoi il a été attaqué le premier. On met un terme au gel des taux de cotisation sociale, unifiés. Ce qui permet de reprendre le mouvement de généralisation du salaire socialisé pour les retraités et les chômeurs qui n’y accèdent pas aujourd’hui, car ils relèvent de l’assistance d’État avec les minima sociaux (qui sont, précisément, des revenus de base) — des formes étatiques de la charité. Concernant le salaire socialisé des parents, on met fin aux conditions de ressources de l’allocation familiale, qui déplacent la logique du salaire socialisé du parent vers celle d’une allocation aux enfants de familles pauvres. S’agissant du chômage, on s’inspire du projet cégétiste de maintien du salaire entre deux emplois, selon, également, le principe d’indemnisation des intermittents du spectacle, qu’ils ont raison de défendre bec et ongles. On généralise le salaire socialisé des chômeurs, qu’ils aient ou non travaillé dans l’emploi (c’est-à-dire qu’ils aient ou non « cotisé »), sans limitation de durée de versement. Ce versement est opéré par une Unédic5 désormais gérée par les représentants des salariés, préfiguration de la caisse des salaires. Ainsi, on poursuit la socialisation de l’indemnité chômage amorcée en 1958 jusqu’au début des années 1980 : l’indemnité est versée pendant la durée du chômage, selon un pourcentage (taux de remplacement) du salaire perdu, avec un plancher égal au SMIC, pour affirmer la continuation du salaire. Mais, aussi, on met un terme aux réformes d’« activation des dépenses passives ». Suspectant le chômeur de « fainéantise », la logique d’« activation des dépenses passives » fait de l’indemnité du chômeur non seulement une dépense passive (celui-ci étant considéré comme non productif puisque hors du marché du travail), mais elle l’oblige aussi à cultiver son « employabilité » à travers la multitude de dispositifs de reclassement, reconversion, formations rarement qualifiantes (du type « bilan de compétences », etc.), et autorisant l’invraisemblable possibilité de cumul de situations d’emploi-chômage (ce sont les activités dites « réduites » et, pour les « pauvres », l’« intéressement à l’emploi » avec le RSA activité).

    Et s’agissant de la pension de retraite ?

    On diminue l’âge de la retraite. Par exemple à 60 ans, puis 55 — sans décote, comme le revendiquait la CGT jusque dans les années 2000 (et même la CFDT, dans les années 1970), sans durée de cotisation antérieure puisque, comme pour le chômage, on est dans un système de répartition (la cotisation collectée aujourd’hui finance la retraite aujourd’hui). Pour la retraite comme pour le chômage, on revendique qu’ils représentent 100 % du salaire net, et non pas 75 % du brut, pour signifier et assumer la logique de prolongement du salaire « direct ». Enfin, on commence à ouvrir l’accès au salaire à vie aux jeunes entre 18 et 25 ans. Parallèlement à l’extension du salaire socialisé, on reprend la main concernant les investissements dans les hôpitaux et on élargit, par exemple, le principe de la cotisation économique à la presse, pour aller vers une presse libre — comme l’a très bien détaillé Pierre Rimbert dans son article du Monde diplomatique de décembre 2014. Bref, on reprend le pouvoir qui nous a échappé sur cette partie du PIB, aujourd’hui estimée à 400 milliards d’euros (1,5 fois le budget de l’État), demain 700 milliards, et après-demain 2 000 milliards — le total du PIB.

    Mais cette prochaine étape ne pourrait-elle pas être la mise en place d’un revenu de base financé par cotisation ?

    Non. D’abord, ce n’est pas une ressource comme les autres, car c’est un salaire. Les autres revenus sont des ressources pour lesquelles le financement est aujourd’hui, soit fiscal (c’est l’assistance d’État avec le RSA, le minimum vieillesse, la prime pour l’emploi, etc.), soit tiré de la propriété lucrative (par prélèvement sur les dividendes, intérêts, etc.). Le salaire est une construction sociale, fruit d’une négociation collective dans le secteur privé, en France. Il repose aujourd’hui, non plus directement sur la productivité (à la pièce ou à la tâche), mais sur la qualification professionnelle, que le salaire à vie transforme en qualification personnelle (à l’image de la catégorie et du grade des fonctionnaires, qui ne perdent jamais leur traitement en cas de mobilité fonctionnelle ou géographique). Ce qu’introduit la qualification professionnelle, c’est une déconnexion relative entre le salaire et le marché du travail. Le salarié reçoit son salaire, qu’il ait été plus ou moins productif ce mois-ci, qu’il ait ou non mobilisé telle compétence ce mois-là ; le défaut majeur, aujourd’hui, de la qualification professionnelle issue des conventions collectives dans le secteur privé est qu’elle est attribuée au poste de travail, et non à la personne. La conséquence est que, lorsque le salarié perd son emploi, il peut perdre la qualification professionnelle afférente à ce poste : c’est l’enjeu de l’offre raisonnable d’emploi, imposée et obtenue par le patronat en 2009, qui permet à un employeur de recruter un chômeur en deçà de la qualification professionnelle de son dernier poste au bout de trois refus d’offre.

    La qualification personnelle attribuée au salarié de la cotisation sociale, quant à elle, reconnaîtra sa qualité de producteur, de ses 18 ans jusqu’à sa mort. Dans l’optique de Réseau salariat, ce droit politique lui permet d’être propriétaire de l’entreprise dans laquelle il travaille — il s’agit là d’une propriété non pas lucrative mais d’usage (un peu comme le propriétaire d’une maison ou d’un appartement qui ne les met pas en location et les utilise pour son propre usage). Il lui permet aussi de participer aux délibérations des jurys de qualification, des caisses de salaire, des caisses d’investissement, des caisses de fonctionnement destinées à financer les dépenses courantes des services publics. Autrement dit, le salaire à vie est un droit politique, qui ne sépare pas la personne en deux : celle qui serait dans le marché du travail et produirait dans le cadre capitaliste, et celle qui ne le serait plus ou pas et qui recevrait entre 400 et 1 000 euros d’allocations, comme dans les différents projets du revenu de base. Ce dernier ne donne aucun droit politique, aucun droit à décider. Il donne un droit à une ressource, a minima, qui peut être complétée par un salaire dans le cadre du marché du travail. C’est d’ailleurs pourquoi ce droit à ressources démarre dès la naissance, alors que le salaire à vie, droit politique, démarre à 18 ans (ou 16 ans).

    Nombre de termes en usage dans les sciences sociales ou en économie sont repris par les tenants du salaire à vie, mais en leur donnant bien souvent de nouvelles définitions — ou, disons, des nuances importantes. N’est-ce pas prendre le risque d’embrouiller vos lecteurs ?

    Sans doute faites-vous allusion à des termes comme « salaire » et « salariat », « dépenses publiques », « justice sociale », « équité » et « solidarité », « travail » et « emploi », etc. Derrière votre question, s’en dessinent au moins trois autres. La première est celle-ci : faut-il supprimer de notre projet des mots qui renvoyaient hier à une autre réalité, aliénante ? C’est le cas des mots « salaire » ou « salariat », qui ne se confondent plus avec le prix de la force de travail et avec l’exploitation capitaliste. Dans la conception communiste de la société, l’émancipation du capitalisme passait effectivement par l’abolition du salariat. Cette conception marxienne naît au XIXe siècle dans un contexte où les salariés sont aliénés par un marché du travail qui les broie en les considérant comme une force de travail que l’on prend et que l’on jette sans scrupule, où ils sont payés en fonction de leur productivité, où ils doivent travailler dans des conditions déplorables, jusqu’à l’épuisement ; bref, l’ouvrier et l’ouvrière « appendice de la machine », nous dit Marx, avec ses expressions si percutantes. Le salaire et le salariat ont toutefois changé depuis 150 ou 200 ans, au prix de luttes, parfois violentes, menées par la classe ouvrière et par les fonctionnaires. Ils y ont gagné le code du travail, les conventions collectives, les comités d’entreprise ou d’établissement, le principe de faveur, la représentation obligatoire des syndicats et des salariés dans les entreprises — malheureusement, sous condition d’un seuil d’effectifs — et, pour la représentation syndicale, son introduction en 1946 dans la fonction publique d’État, le conseil des prud’hommes, les 35 heures, la Sécurité sociale, le statut de la fonction publique. Toutes ces conquêtes (la liste n’est pas exhaustive), dont la plupart sont attaquées et parfois dépecées de leur substance, ont changé la définition du salaire et du salariat. Ce n’est pas Réseau salariat qui leur donne une nouvelle définition, c’est la réalité des luttes qui en redéfinit les contours. Nier ces évolutions historiques serait nier ces luttes et ces conquêtes.

    Notre propos est donc bien plutôt de nous appuyer sur cette histoire-là, souvent ignorée, pour poursuivre l’œuvre accomplie. C’est dans les luttes, prenant souvent la forme de la matérialité des mots, que se situe le rapport de force. Derrière votre question, il me semble aussi lire celle-ci : faut-il laisser aux réformateurs le soin de tronquer la réalité par l’utilisation d’expressions idéologiquement connotées et incomplètes ? C’est le cas, par exemple, de la notion de « dépenses publiques ». Il faut insister sur le fait que la fiscalité ou la cotisation sociale, deux formes de socialisation de la valeur, relèvent avant tout de la production publique : les enseignants produisent l’éducation, les soignants produisent la santé, les juges produisent la justice, etc. La deuxième malhonnêteté consiste à omettre de dire que la production privée est aussi une dépense privée. Autrement dit, pour le public comme pour le privé, il y a toujours dépense et production : c’est mécanique dans un circuit économique ! La troisième malhonnêteté consiste à dire que la dépense publique est égale à 56 ou 57 % du PIB, sans préciser qu’il s’agit d’un équivalent, c’est-à-dire d’une mesure destinée à donner un ordre d’idée (comme on le fait, du reste, avec la dette publique, par exemple). Cet oubli laisse penser que les fonctionnaires financés par la fiscalité et les salariés financés par la cotisation sociale dilapident allègrement chaque année 56–57% du PIB (qui plus est, le PIB serait produit par les seuls salariés du secteur privé) ! La quatrième malhonnêteté consiste à ne pas dire que la dépense privée, valorisée selon les mêmes modalités que la dépense publique, équivaudrait, d’après les calculs de Christophe Ramaux, à 200 % du PIB. Enfin, la cinquième malhonnêteté consiste à ne pas dire que l’enjeu unique de cette obsession de la dépense publique, et la rhétorique pernicieuse utilisée à son sujet, est de substituer à de la production publique de la production privée, dans la logique du TAFTA.

    Enfin, la troisième question que je vois derrière la vôtre est la suivante : faut-il laisser les réformateurs recourir à des notions souvent louables et généreuses, mais qui dissimulent des pièges, si l’on n’y prend pas garde ? C’est le cas des notions de « justice sociale-équité-solidarité » pour la Sécurité sociale — toutes ces expressions n’étant toutefois pas comparables —, auxquelles il faut opposer celle de « salaire et investissement socialisés ». Considérer la Sécurité sociale comme un outil de justice sociale, et plus particulièrement d’équité, c’est accompagner les réformateurs, qui n’ont d’ailleurs que ce mot à la bouche. L’équité, censée récompenser les plus méritants, conduit tout droit à la notion de revenu différé, qui indemnise ou alloue une ressource en proportion de sa contribution au marché du travail : on aboutit, avec l’équité, aux minima pour celui ou celle qui n’a pas contribué à la production de valeur économique ; aux filières de l’indemnité chômage, depuis 1982 jusqu’à la filière unique en vigueur depuis 2009 (1 jour cotisé = 1 jour indemnisé, ce pour deux ans maximum) ; à l’augmentation de la durée de cotisation nécessaire pour une pension pleine (37,5, puis 42, puis 43 annuités) et au recul de l’âge de départ à la retraite (62 ans aujourd’hui). Or, on l’a dit, il n’est pas besoin de « cotiser » pour avoir droit au salaire socialisé : la cotisation est prise aujourd’hui sur la valeur ajoutée6. L’enfant qui est malade et soigné n’a pas cotisé. Le veuf ou la veuve qui perçoit la pension de réversion n’a pas cotisé. Les premiers cadres partis à la retraite en 1947 ont perçu la retraite complémentaire de l’AGIRC7 sans avoir cotisé.

    Dire que la Sécurité sociale opère un transfert des actifs vers les inactifs, c’est erroné, également. La cotisation patronale qui finance l’essentiel du salaire socialisé est prélevée sur le PIB dès la répartition primaire, au même titre que le profit ou le salaire dit « direct » (qui n’est ni plus ni moins direct que le salaire socialisé, lui-même ni plus direct ou indirect que le salaire « direct » !) : il ne s’agit pas d’un transfert mais d’une préemption, aujourd’hui de 20 % du PIB, transformée en une journée par l’ACCOSS8 en salaire socialisé. Par ailleurs, parler de la Sécurité sociale comme d’un outil de solidarité, c’est risquer de se faire piéger face aux réformateurs. La solidarité laisse penser qu’il y a transfert entre actifs et inactifs (ou entre générations). Mais aussi, qualifiée de « professionnelle », la solidarité exclut de fait les « non professionnels ».

    Cela conduit tout droit à une autre solidarité, la solidarité nationale, c’est-à-dire l’assistance d’État avec les minima (c’est le ministère du Travail et de la Solidarité nationale en 1982). Elle ferme donc la porte à l’intégration dans le droit commun des personnes qui travaillent hors de l’emploi. Mais aussi, elle laisse prise au durcissement de la contributivité, puisque la solidarité étant professionnelle, rien n’interdit de coupler la durée de la prestation à la durée antérieure dans l’emploi : c’est la porte ouverte aux filières d’indemnisation du chômage depuis 1982, jusqu’à la stricte contributivité en 2009 (un jour cotisé pour un jour indemnisé) et le passage à 43 annuités pour la pension. Ainsi, adosser la Sécurité sociale à la notion d’équité ou, sur un registre un peu différent, à celle de solidarité, revient à mettre le marché du travail, institution du capital, au cœur du droit à prestation et, par conséquent, à évincer la cotisation comme salaire socialisé. Ces exemples sont pris pour illustrer que la lutte ne prend pas seulement la forme de manifestations dans la rue, par exemple ; elle est aussi matérialisée dans les mots. Car finalement, votre question contient en creux toutes celles relatives aux mécanismes de construction et d’imposition de l’idéologie dominante dans le discours, et aux efforts nécessaires des idéologies dominées pour la déconstruire.

    En qualifiant la personne et non plus le poste, comment ne pas penser à la théorie du « capital humain » développée par l’économiste néoclassique Gary Becker9 ? Plutôt que de travailler à améliorer notre condition de travail au niveau collectif, cela ne renforcerait-il pas la doxa dominante du management qui aime à favoriser l’individu ?

    Nous sommes à l’opposé de la théorie du capital humain développée par Gary Becker — qui a d’ailleurs fait l’objet de critiques sérieuses et solides, du point de vue de sa mesure et des liens qu’elle établit. Mais cette théorie reste malheureusement dominante. Par exemple dans la rhétorique de l’Union européenne : c’est elle aussi qui conduit à l’invraisemblable endettement des étudiants américains, les études étant appréhendées comme un investissement sur lequel l’étudiant, entré dans la peau d’un petit capitaliste, espère et devrait avoir un retour. La théorie du capital humain part du principe que plus l’individu a investi dans sa formation ou sa santé, plus il augmente sa productivité et plus il sera payé en conséquence. Sans entrer dans des explications détaillées, la mesure de la productivité, du capital humain (éducation, formation, apprentissage) et des trois liens de corrélation (éducation > productivité > salaire) posent de vraies difficultés. Avec cette théorie, on est effectivement en présence d’une logique individuelle dans laquelle la productivité (ou les compétences mobilisées à l’instant T) sont centrales. Le management est là pour veiller à son déploiement et l’encourager. Notre projet est précisément de rompre avec ce management et avec cette connexion entre productivité de l’individu à l’instant T et salaire, incarnée par le revenu à la pièce/tâche et les primes de performance. L’encadrement serait là pour organiser le travail : pourquoi ne pas imaginer un encadrement tournant, avec une élection ou un mandat, comme cela existe pour les directions de laboratoires de recherche ?

    Quant à la qualification personnelle, on peut s’inspirer du statut du fonctionnaire de l’État. Il ne faut pas confondre la qualité de producteur affectée à l’individu, exprimée dans notre projet par sa qualification personnelle, et la construction de cette validation sociale, collective. La construction des grilles et des catégories de fonctionnaires a été un processus au cours duquel la confrontation de plusieurs points de vue collectifs a été omniprésente, jusqu’à aboutir à un compromis. C’est cela, la validation sociale. En revanche, une fois que les règles ont été établies collectivement, l’affectation du grade a bien été (et est) faite à l’échelle de l’individu. Dans le secteur privé, avec le management actuel, et depuis, notamment, 1998 sous la pression du patronat10, c’est la compétence individuelle qui prévaut et sa définition arbitraire par un employeur, dans une relation bilatérale et déséquilibrée avec l’employé, qui vise à passer outre la qualification professionnelle et donc les grilles salariales, négociées. La force de la compétence, c’est d’avoir réussi à s’imposer dans la rhétorique séduisante de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, de l’employabilité, de la sécurisation des parcours, de la professionnalisation. Nous sommes pourtant loin de la qualification professionnelle, de la certification et de la formation qualifiante, de la sécurité sociale professionnelle proposée par la CGT ou de son statut du travailleur salarié. Dans le projet de Réseau salariat, la construction de la qualification personnelle et de ses niveaux serait aussi un processus de négociation ; quels critères, quels jurys, quelles épreuves, etc. ? Autant de questions qui doivent faire l’objet d’une négociation collective.

    Si nous devenons tous producteurs de valeur économique, sur une échelle de salaire liée au niveau de qualification, n’est-ce pas encourir le risque de voir l’enseignement prendre un tournant concurrentiel (entre les écoles, les universités et entre les étudiants) intenable, le niveau de certification pouvant être pris comme un levier pour accéder au niveau supérieur ?

    Je pense que vous faites un contresens. L’école certifie ; elle atteste que nous savons faire tel métier, tel travail concret. Alors que la qualification atteste que nous produisons tel niveau de valeur économique : ce qui relève bien plus de l’expérience professionnelle que du diplôme. La qualification comme droit politique va, au contraire, sortir les personnes de la malédiction de l’échec scolaire, et libérer l’école de l’obligation absurde de préparer les jeunes à satisfaire aux exigences du marché du travail, obligés qu’ils sont dès le collège de faire un stage d’une semaine dans « le monde du travail », tenus de séduire les DRH venus faire leur marché dans les multiples forums de l’emploi, contraints de se livrer à des séances de job-dating où l’on vend sa peau en sept/dix minutes, chrono en main. À propos de votre inquiétude sur le « tournant concurrentiel » à (et de) l’école, la question laisse entendre que l’appareil éducatif actuel ne s’inscrirait pas déjà dans des rapports de compétition. Loin s’en faut, aujourd’hui : il vaut mieux avoir fait les Mines que psycho, et finance que couture, pour avoir un poste, d’une part ; et un salaire plus élevé, de l’autre. Ce point, qui relève d’un processus de sélection, n’est pas déconnectable du système économique actuel. L’école n’est pas autonome par rapport à l’appareil productif. La concurrence et les effets sélectifs qu’elle opère existent précisément au sein de l’appareil scolaire, car la certification est déterminante dans la hiérarchie des métiers. Pour reprendre votre expression, la filière et le niveau de certification sont déjà « des leviers d’accès aux niveaux de qualification supérieurs ».

    Mais attention ! s’il s’agit bien d’un levier d’accès à la qualification (professionnelle), à ne pas confondre avec la certification, comme je l’ai déjà précisé : la qualification se situe dans la sphère de la production ; la certification, dans la sphère de l’école, garantissant une capacité à produire. Le diplôme qui sanctionne cette capacité à produire constitue un critère clé dans un certain nombre de conventions collectives. Il est intéressant, car c’est un critère qui vient d’une institution extérieure à l’entreprise (malheureusement, de moins en moins autonome par rapport à l’appareil productif), à propos de laquelle la décision politique est centrale. En revanche, dans la fonction publique, la qualification repose quasi exclusivement sur un niveau de formation initiale pour l’accès aux concours. Ici, la compétence n’entre en rien dans la définition de la qualification personnelle (la catégorie et le grade) acquise avec la réussite au concours. Les choses se complexifient par la suite, avec les évolutions sur tableau d’avancement qui sont des réminiscences du principe de faveur de la royauté (aujourd’hui du ministre ou de son représentant), et qui doivent disparaître.

    Le constat est donc le suivant : plus on s’éloigne de critères liés aux qualités individuelles pour déterminer le niveau de salaire, qualités définies comme compétences (savoir-faire, savoir-être, etc.) mises en œuvre à l’instant T pour produire tel bien ou service et pour telle quantité (sur lesquelles s’appuie, par exemple, la prime de résultat ou de performance), plus c’est émancipateur. C’est l’une des caractéristiques du traitement du fonctionnaire, attribué à sa qualification personnelle, elle-même construite et déterminée par un concours fondé sur le niveau de diplôme, indépendamment de critères de compétence ou de productivité. Pour autant, et que je sache, la production publique des fonctionnaires — quand on leur en donne les moyens — est de bonne qualité. Elle a été et est sans doute l’une des meilleures du monde, quoi qu’on en dise. Mais elle est mise en péril par la réduction des moyens au nom de la « dépense publique ». Comme il faut s’inspirer de la Sécurité sociale, il faut tirer les conclusions de la qualification attribuée à la personne du fonctionnaire, s’inspirer de ces expériences pour envisager une alternative au système capitaliste. Dans notre projet, en s’inspirant de la carrière prévue dans les conventions collectives ou, mieux, du statut de la fonction publique, tout le monde se verrait attribuer à sa majorité un niveau de qualification au moins de 1, et pourrait évoluer au gré d’épreuves pour aller vers les niveaux 2, 3, ou 4. La question est donc celle des critères d’attribution de ces niveaux de qualification, ouverte à la négociation, comme l’ont été les critères d’attribution des grades des fonctionnaires en 1948. Une autre option serait de n’envisager qu’un niveau de qualification personnelle, droit politique universel — et donc un seul niveau de salaire. Ce point mérite aussi d’être débattu.

    Une dernière question. Vous présentez le financement du salaire à vie par un redécoupage du PIB. Que faites-vous des critiques à l’encontre du PIB11 ? Et comment envisager que le financement du salaire à vie se fasse sur la base d’un PIB constant, et même évolutif, alors que le salaire à vie, même dans une perspective longue, renverse complètement l’organisation de la production ?

    D’une part, les propositions de salaire à vie et de maîtrise populaire de l’investissement, rendant possible la copropriété d’usage de tout l’outil de travail, ne mettent cul par-dessus tête que la production capitaliste, certes encore majoritaire, mais pas exclusive. Une partie du PIB est déjà produite par des travailleurs payés à vie et qui ne mettent en valeur aucun capital : les fonctionnaires et les salariés financés par la cotisation sociale. Nous ne partons donc pas de rien, et c’est essentiel pour montrer que notre projet n’est pas une utopie inaccessible. D’autre part, le PIB n’est pas une mesure comptable ou statistique : c’est un outil politique, qu’il faut se réapproprier et ne pas laisser entre les mains d’une poignée d’individus qui en décident tout, de la mesure aux contours en passant par ses limites. Il mesure la valeur économique : on ne peut donc pas lui demander de mesurer le niveau de santé ou le bonheur au travail, qui nécessitent d’autres indicateurs. Faut-il mesurer la valeur économique ? Oui, parce que c’est « ce qui vaut » qui détermine le produit concret de notre travail : si ce qui vaut en matière de transport mesure la production automobile et autoroutière, les cars Macron et les rentiers propriétaires de BlaBlaCar ont tout l’avenir devant eux, pas le transport ferroviaire. Si ce qui vaut en matière de logement, c’est la propriété immobilière lucrative, alors les rentiers propriétaires de Airbnb sont légitimés, pas la nécessaire sécurité sociale du logement, qu’il faut pourtant impérativement construire.

    Or, de ce point de vue, du fait des conflits dont la valeur économique est en permanence l’objet, la mesure du PIB est en permanente évolution, et dans un sens qui est loin de n’être que négatif. Une opinion reçue, par exemple, veut que le PIB ne mesure que le « produit marchand », et qu’il soit incapable de mesurer une valeur économique non monétaire, et donc d’accompagner la nécessaire montée en charge de la gratuité. C’est totalement faux. Notre PIB additionne les valeurs ajoutées des entreprises marchandes, qui donnent lieu à des flux monétaires, et la production gratuite des services publics, évaluée au coût des facteurs. Nous sommes déjà en capacité de mesurer une production non monétaire, nous prouvons déjà que le PIB peut enregistrer une part croissante de production gratuite, mais avec un coût, d’éducation, de santé. Continuons par exemple en ajoutant au PIB la production des retraités. Il augmentera ainsi sans augmentation des flux monétaires, et en s’enrichissant de travaux peu polluants et créateurs de liens sociaux, qui seront ainsi valorisés. On peut faire le même raisonnement avec la seconde Journée des femmes : non pas — c’est évident mais cela va mieux en le disant — par l’attribution d’un salaire maternel ou par les désastreuses conditions salariales et de travail des services à la personne, mais en mettant en œuvre un salaire à vie dont les critères de qualification feront une part aux tâches domestiques, que l’on soit un homme ou une femme !


    Illustrations de bannière et de vignette : Stuart Davis

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    1 - Construit par les conventions collectives comme poste de travail support de la qualification et du salaire, l’emploi est une institution ambivalente, aujourd’hui vidée de son contenu salarial (qualification du poste remplacée par l’employabilité de son titulaire par exemple), au bénéfice de sa stricte articulation au marché du travail. C’est donc une institution décisive du déni de la qualification des personnes réduites à la force de travail et de la convention capitaliste du travail. Il peut être remplacé par la qualification personnelle.

    2 - La propriété d’usage est un patrimoine que l’on consomme pour son usage personnel et dont on ne tire aucun revenu : un appartement, une voiture, des outils, de l’épargne d’usage. À l’inverse, la propriété lucrative est un patrimoine que l’on ne consomme pas personnellement, pour en tirer un revenu sous forme de loyer, de rendement d’un portefeuille financier, de profit tiré d’une entreprise. C’est le principal obstacle à la propriété d’usage, en particulier en matière de logement et d’outil de travail.

    3 - « De quelles caisses s’agit-il ? De sortes de caisses de sécurité sociale dédiées aux investissements : rappelons-nous que la Sécu a financé dans les années 1960 les CHU (Centre hospitalier universitaire) et, aujourd’hui encore, les équipements médicaux des hôpitaux publics, sans recourir au crédit. Dédier une partie de la cotisation à d’autres investissements lourds est donc parfaitement envisageable. Il s’agirait de mobiliser 30 % du PIB pour l’investissement — 15 % financés en autofinancement par les entreprises elles-mêmes et 15 % par les caisses d’investissement gérées, notamment, par des producteurs ou leurs représentants. » Christine Jakse

    4 - Conseil national de la Résistance : organe qui dirigea et coordonna les différents mouvements de la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale. Son programme prévoit une liste de réformes sociales et économiques à appliquer dès la Libération.

    5 - Originellement, un acronyme pour « Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce » : association chargée de la gestion de l’assurance chômage en France, en coopération avec Pôle emploi.

    6 - La valeur ajoutée est la valeur économique nouvelle en cours de création (la valeur ajoutée nouvelle créée dans l’année est le PIB). Lorsqu’on a ôté du prix d’un produit le coût des consommations intermédiaires (énergie, matières premières), on obtient la valeur ajoutée qui, dans la convention capitaliste de la valeur, se partage entre profit et salaire. La convention salariale, qui s’oppose à la convention capitaliste, l’attribuera en totalité au salaire.

    7 - Association générale des institutions de retraite des cadres.

    8 - Agence centrale des organismes de sécurité sociale : caisse nationale qui coordonne l’ensemble des organismes participant au recouvrement du régime général de sécurité sociale.

    9 - Concept clé de l’économiste néoclassique Gary Becker. Le capital humain est un stock de ressources productives incorporées aux individus eux-mêmes, constituées d’éléments aussi divers que le niveau d’éducation, de formation et d’expérience professionnelle, l’état de santé ou la connaissance du système économique. Les inégalités de salaire reflètent l’inégalité de la répartition ou des possibilités d’acquisition de capital humain.

    10 - Journées internationales de la formation, octobre 1998, organisées par le Medef, avec les compétences comme thème central.

    11 - Selon l’économiste Jean Gadrey par exemple, « si le PIB demeure un indicateur économique pertinent pour juger de l’accroissement de la production dans un pays, il présente de nombreuses limites intrinsèques, qui en font un indicateur inadapté pour juger de l’état de bien-être ou de progrès d’une société ».

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