Les régimes de retraite entre Salaire continué et Revenu différé

28/02/2020     LES GROUPES LOCAUX GRAND PARIS ET ESSONNE DE RÉSEAU SALARIAT , NICOLAS CASTEL & BERNARD FRIOT , LUCY APROBERTS & GAËL CORON    -  EDITEUR:  RÉSEAU SALARIAT

Les régimes de retraite entre Salaire continué et Revenu différé

Pour la seconde année de son séminaire, Réseau Salariat a choisi de le consacrer au thème des retraites. Macron et son gouvernement prévoient en effet une nouvelle réforme des retraites, visant à instaurer un système à points. En face, les réactions syndicales et politiques se sont un nouvelle fois concentrées sur la baisse des pensions. Une fois encore, un vaste mouvement de grève en défense des retraites se profile, mais celui-ci se fera sans avoir pris la pleine mesure de l’objectif de la réforme : une casse de la retraite conçue comme du salaire, pour la remplacer par des pensions conçues comme un revenu différé, fruit de la prévoyance des actifs et des actives.

Alors que nous sommes à quelques semaines du début du mouvement social qui s’annonce, fore est de constater que nous n’avons pas su tirer les leçons de nos échecs précédents, par exemple contre les réformes des retraites de 2010 et 2003. Encore une fois, la bataille s’engage sur un mode quasi-uniquement défensif, contre la baisse des pensions au nom de la solidarité inter-générationnelle, alors que cette stratégie s’est déjà avérée perdante à plusieurs reprises.

D’où vient cette incapacité à remettre en question notre manière de conduire la lutte sur le sujet ? D’abord, la grille de lecture de nos mobilisations est restée la même, une grille de lecture roduite par à peu près les mêmes individus et les mêmes collectifs. La plupart des analyses de la réforme sont en effet produites par un petit groupe d’économistes, qui raisonnent, en bons économistes, même attérés, en termes de déficits, de bonne gestion et d’équilibre du système, et pas en termes de pistes d’émancipation collective.

Plus inquiétant encore, il a fallu, cette fois-ci, attendre qu’un collectif citoyen, le collectif Nos Retraites, lance un site internet et commence à produire des analyses, graphiques, décryptages et autres simulateurs pour que les syndicats et les organisations politiques se mettent à leur tour à produire du matériel d’information… qui reprend, bien souvent, les visuels et les analyses dudit collectif. S’il faut saluer leur excellent travail de décryptage des mensonges du gouvernement, des entourloupes du rapport Delevoye cadrant la réforme, et de clarification sur les rapports du Conseil d’orientation des retraites, ainsi que leur rôle salutaire dans l’information sur la réforme et la préparation de la mobilisation de décembre, on ne peut que déplorer l’incapacité des syndicats à produire une réflexion propre sur le sujet.

Car ni les collectifs d’économistes, ni Nos Retraites, ne s’appuient sur l’histoire longue des régimes de retraites. Au sein même des organisations syndicales, qui ont pourtant coustruit une bonne partie de notre système de retraites, cette histoire de la construction par les travailleurs/euses elleux-même d’institutions économiques d’ampleur s’est presque complètement perdue. Résultat : des revendications qui, il y a quelques décennies, auraient paru pour le moins timorées : départ à taux plein après 37 années de cotisation, taux de remplacement à 75 %, créations d’emplois pour financer les retraites, etc.

En se réappropriant cette histoire oubliée de nos régimes de retraites, il y a pourtant de quoi sortir des analyses trop techniques de la réforme, pour la réinscrire dans une série de réformes politiques qui partagent un même objectif : détruire les institutions du salariat, mises en place quand la classe ouvrière était à l’offensive – régime général de la Sécurité sociale, Assurance-chômage, etc.

Car, à force de répéter, lors des grèves précédentes, que si la réforme passait, nous n’aurions jamais de retraite, le résultat est là : tout le monde ou presque, aujourd’hui, a perdu tout espoir de partir à la retraite avant 70 ans, si ce n’est tout espoir d’avoir une retraite un jour, et le répète sur un ton mi-blagueur mi-fataliste. Faute d’avoir contesté frontalement les arguments démographiques et économiques mis en avant par le gouvernement, pour plutôt se perdre dans des appels incantatoires à plus de solidarité, nous avons fini, même à gauche, par intégrer une grille de lecture qui est celle de nos adversaires, dépeignant les retraité·es vu·es comme un coût pour les actifs et les actives, qui doivent être solidaires avec elleux.

C’est donc l’objectif des pages qui vont suivre que de faire connaître l’histoire de la construction des retraites, et celle des innombrables attaques qu’elles ont subi. Notre postulat est que nous serons d’autant plus fort·es que nous connaîtront l’histoire des institutions qu’on veut défendre, et qu’on acceptera de réfléchir sur les raisons de notre incapacité, jusqu’ici, à en empêcher la destruction progressive. Il ne s’agit pas de donner des leçons sur la bonne manière de mener la bataille des retraites, mais plus modestement de rappeler ce que nous avons su construire par le passé, pour se demander si nous comment renouer avec cette dynamique d’extension du droit à la retraite, qui est un droit au salaire.

Faites circuler ce document dans vos syndicats, associations, organisations : il constitue un condensé de plus d’un siècle d’histoire, et contient tous les arguments historiques, politiques et économiques pour contrer les arguments du gouvernement en faveur de sa réforme, et convaincre, autour de soi que si nous nous battons, il est possible d’améliorer notre système de retraite, dont le démantèlement n’est en rien une fatalité : nous pouvons prolonger l’existant, vers des retraites pleinement conçues comme une continuation du salaire, sans aucune condition de durée cotisation ou d’annuités. Il est le fruit d’un gros travail collectif, qui s’est mis à l’école des luttes passées dans le but d’infuser les luttes actuelles. Son objectif serait atteint si nous parvenions à nous redonner une perspective de plus long terme, qui nous permettrait d’arrêter de calquer notre agenda militant sur l’agenda des réformes du gouvernement. Gageons qu’alors, nous pourrions renverser le cours actuel des choses…

Des militant·es du groupe Grand Paris, novembre 2019

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