La cotisation sociale est une contribution au PIB

29/08/2013     BERNARD FRIOT

    La cotisation sociale est une contribution au PIB

    Merci à Jean Gadrey de commenter mon travail. J’attends avec grand intérêt son second billet, et fais sur le premier les trois brèves remarques suivantes.

    Dire que mon raisonnement repose sur la croissance infinie avec doublement du PIB tous les 40 ans et gains de productivité par réduction du temps de travail par unité produite, relève d’une totale méprise. Dans L’enjeu des retraites (2010), je traite pages 113 à 119 du prétendu « problème démographique » qui était au coeur de l’argumentaire réformateur en 2010. J’ouvre mon raisonnement par « supposons que soient exacts les postulats » des réformateurs et je me situe alors dans une critique interne de l’usage frauduleux fait à l’époque du ratio actifs/retraités pour nous annoncer l’apocalypse en 2050 si on ne réduisait pas les pensions. Mon raisonnement reprend les projections du COR et les prend au mot pour dire qu’il sera plus facile de consacrer aux retraites 18% d’un PIB de 4000 milliards d’euros qu’il ne l’est aujourd’hui d’y consacrer 13% d’un PIB de 2000 ou qu’il ne l’était hier d’y consacrer 5% d’un PIB de 1000. Mais en aucun cas il ne s’agit de mon propre argumentaire, qui repose non pas sur les mortifères gains de productivité par réduction du temps de travail ou sur la désastreuse extension de la marchandise capitaliste (je renvoie aux longs développements sur la question dans L’enjeu du salaire paru en 2012), mais sur la mutation en cours dans la convention de valeur par attribution de valeur économique à l’activité des retraités, qui, que je sache, produisent plus de lien social que de kilomètres d’autoroute. Il n’y a pas de « problème démographique » parce que, plus il y a de retraités, plus leur part dans la production de valeur augmente. Il y a là, dans ce changement de la convention de valeur qui fonde aujourd’hui tous les affrontements sociaux, un ressort écologique bien plus puissant que bien des bavardages sur l’écologie. Que l’ami Franck Lepage ait mis tout son talent à mettre en scène un raisonnement qui n’est pas le mien, qu’y puis‑je ? Je suis d’ailleurs si conscient du contresens induit que, dans mes textes comme dans mes conférences, je n’utilise plus du tout cette critique interne pour me consacrer uniquement à la critique fondée sur le changement dans la définition de la valeur et du travail dont sont porteuses les luttes syndicales qui ont conduit au statut de la fonction publique, à la qualification comme mesure de la valeur (à la place du temps), à la cotisation et à tout ce dont elle est porteuse en termes de mise en cause de la propriété lucrative, du crédit et du marché du travail, et donc à tout ce qui s’oppose aujourd’hui à la folle fuite en avant capitaliste.

    Quelle est la part, précisément, de cette valeur non capitaliste dans nos PIB actuels ? Là encore, il y a maldonne. Jean Gadrey utilise les indicateurs que je conteste. La mesure du non marchand n’est pas du tout celle de la convention salariale de valeur telle que je la définis dans L’enjeu du salaire. La production non capitaliste s’exprime dans le salaire des fonctionnaires et celui des retraités, des soignants, des parents et des chômeurs, pour reprendre la fonction publique et les quatre branches de la sécurité sociale. Si on additionne les salaires directs des salariés de l’Etat et des collectivités locales et les prestations sociales défalquées de l’achat de marchandises capitalistes en particulier par le système de santé, on obtient une production non marchande de plus de 700 milliards. A quoi il faut ajouter une partie des revenus des travailleurs indépendants, car ils sont souvent produits contre la logique du capital (qu’on pense à une partie de l’agriculture biologique, à des productions sur l’internet, etc..). Nous arrivons aux 40% d’un PIB de 2000 milliards. Il est possible que dans son second billet Jean Gadrey dise que les retraités ou les soignants ne produisent pas de valeur, ce qui, à ses yeux, invalide mon travail, mais qu’il ne le critique pas avec des indicateurs adéquats à sa thèse à lui.

    Quant à ma « confusion, assez fréquente, entre valeur et volume », qu’est‑ce que je dis dans les textes cités ? Au début du 20ème siècle, le salaire des fonctionnaires et ceux transitant par la cotisation sociale ne représentaient pratiquement rien du PIB. Ils en représentent aujourd’hui plus de 35%. Leur contribution à la croissance est plus décisive que celle de la valeur ajoutée par les secteurs capitalistes. Comment dire autrement leur part croissante d’un PIB lui‑même en expansion, dès lors qu’on récuse qu’ils soient une ponction sur la valeur capitaliste ?