Vous avez dit « une gigantesque collection de marchandises » ? « Comment lire le Capital de Marx ? » de Michael Heinrich.

10/04/2016     INCONNU.E

    Vous avez dit « une gigantesque collection de marchandises » ?      « Comment lire le Capital de Marx ? » de Michael Heinrich.

    La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste apparaît commeune « gigantesque collection de marchandises », dont la marchandise individuelle serait la formeélémentaire. C’est pourquoi notre recherche commence par l’analyse de la marchandise.

    Étrange première phrase qui montre toutes les difficultés que peut recouvrir l’entreprise de lecture du maître-ouvrage de Marx. Certains y lisent une référence à Smith et sa Richesse des nations, et d’autres y voient une drôle de définition, car de notre expérience quotidienne, nous savons que sont principalement qualifiées de riches les personnes disposant de beaucoup d’argent mais d’ordinaire, on ne considère pas l’argent comme faisant partie d’une « collection de marchandises » !

    Concilier différents niveaux de lecture pour différents lecteurs, voici l’exercice périlleux que réalise Comment lire le Capital de Marx ? de Michael Heinrich paru aux éditions Smolny fin 2015. Ce livre est un outil d’accompagnement à la lecture des deux premiers chapitres du Capital, chapitres centraux à la compréhension de la critique marxienne de l’économie politique. Ce travail de Michael Heinrich, effectué lui-même à partir de séances assidues de lecture du Capital, s’oriente vers des individus ou des groupes qui n’ont pas de connaissances préalables particulières, mais aussi vers ceux qui en ont déjà, notamment tous les « désillusionnés de la gauche » qui s’interrogent sur la pertinence de cet ouvrage et, plus généralement, de Marx lui-même aujourd’hui.Alors, encore un énième « retour à Marx » promu par des marxistes puristes en appelant au respect de la lettre du texte ? Injonction prophétique comme Lire le Capital (Althusser) ou fidèle compagnon (David Harvey) qui l’interprète pour nous ? Nouveau commentaire qui revendique une plus haute fidélité au texte sacré ? Et bien non, c’est une démarche originale et innovante parce que partant d’une question simple que nous nous sommes chacun posée, mais comment lire le Capital ? Le livre de Michael Heinrich fournit pour cela un cadre et un contenu à la mesure des difficultés du texte, mais surtout sans prétendre se substituer à l’ouvrage de Marx.

    L’analyse qui motiva la rédaction de ce livre est attestée par son succès : à peine un an après sa parution en Allemagne en 2008, une seconde édition et plusieurs nouveaux tirages s’imposèrent, montrant ainsi qu’il existait en Allemagne une nouvelle génération qui souhaitait effectivement lire le Capital et non plus se contenter de savoir ce qu’en avait dit ou pensé tel ou tel intellectuel réputé « marxiste ». Publié par le Schmetterling-Verlag, le livre connaît donc une large réception dans le milieu germanophone ainsi qu’en Espagne et aux Etats-Unis où il a été traduit peu après. Il a contribué à y renouveler, voire même y créer les débats autour de la critique de l’économie politique.

    Si l’analyse vaut pour ces pays, elle n’est pas radicalement différente du cas de la France, car c’est généralement la méconnaissance de Marx qui y a régné, et où sévirent de stériles débats d’érudits.Les raisons en sont multiples, mais partons de l’évidence : en dehors de quelques remarquables contributions souvent restées marginales, Marx a été largement simplifié en fonction des besoins propres aux lignes politiques officielles. Ce processus a produit interprétations hâtives, gloses interminables et ignorances réciproques, travers propres à un marxisme en circuit fermé qui a aussi souvent confondu la critique scientifique avec la basse polémique. À rebours de tous ces empilements interprétatifs, le manuel de lecture de Michael Heinrich nous propose un retour au Capital, qui, grâce à la différenciation des niveaux de lecture, permet de prendre le texte d’origine,dans ce qu’il dit, par lui-même, mais aussi, dans le sens qu’il déploie par rapport à l’oeuvre de Marx, de ses évolutions et de ses confrontations à ses adversaires, et enfin, aussi, par ce qu’on a voulu lui faire dire.

    Un outil d’éducation populaire

    Ce livre n’est donc pas un compagnon, ou un substitut à la lecture du Capital, il est une introduction privilégiée à toute personne souhaitant acquérir les bases indispensables à toute appréhension de l’économie politique. Il donne les moyens de mettre en place des cercles de lecture réguliers avec un découpage adapté à des séances en petit groupe. Il n’est donc pas qu’un livre pour entrer seul dans la conceptualité du Capital, mais il permet surtout d’élaborer collectivement une pensée radicalement à l’extérieur des catégories de l’économie bourgeoise qui gangrènent encore notre manière de concevoir le fonctionnement du mode de production capitaliste. A la question comment la réponse est tout d’abord ensemble !En affirmant que la définition de la valeur est au coeur de la lutte des classes, le Réseau Salariat pose un front anticapitaliste inédit qui a la particularité de partir d’un déjà-là émancipateur. Ce déjà-là institutionnel (la Sécurité Sociale, les diverses allocations, etc…) constitue le point de départ d’une réflexion sur la mise en place d’institutions alternatives au capitalisme par la socialisation de la valeur, l’abolition de la propriété lucrative et la gestion des investissements. Cette analyse passe par une double lecture se déployant sur deux dimensions, historique, et économique ; et s’inscrivant dans une pratique, l’éducation populaire qui permet de se réapproprier et de transmettre des savoirs parfois complexes par des pratiques collectives. Elle se réalise par une nouvelle lecture émancipatrice des conquêtes de 1945, et une critique de l’économie politique qui fait usage des mêmes concepts, le travail abstrait, les formes de la valeur, la plus-value absolue et relative, le temps de travail, la productivité et l’improductivité etc, que ceux qui sont au centre du texte fondateur de cette discipline, le Capital de Marx.C’est en particulier le cas pour le concept de valeur économique, dont la maléabilité historique et sociale fait de son contenu un enjeu politique. Définir ce qui produit de la valeur économique, est le moyen par lequel il est décidé si l’activité d’une personne est un travail qui peut faire l’objet d’une rémunération et dont le résultat peut être approprié par une tierce personne. Avant donc la spoliation du produit de la force de travail constitutive de la plus-value, un autre rapport de force a déjà eu lieu, et il a amené à avoir la conviction que seuls ceux qui ont un emploi produisent de la valeur économique. Si l’activité d’autrui est définie comme un emploi, comme production de valeur économique, elle entre alors dans le cadre reconnu par les capitalistes. Pour cela, il faut faire croire que le temps est la mesure naturelle de la valeur. C’est pourquoi « la valeur n’a pas d’autre fondement que politique, elle est le lieu d’expression de l’enjeu de pouvoir inhérent à toute production, à tout travail ».Le livre de Michael Heinrich permet en outre à chacun d’avoir les moyens de se situer dans les divers débats qui ont lieu autour de la critique de la valeur, de la critique du travail, de la définition du sujet d’émancipation, du rapport entre infra- et superstructures, entre idéologie et économie, du possible dépassement du marxisme objectiviste de la Troisième internationale, ou encore des interprétations du caractère fétiche de la marchandise, etc… et dont la richesse n’est pas la force, qui elle, seule réside dans le dialogue qu’elles entretiennent et qui s’opère sur la base du Capital.

    Michael Heinrich, Comment lire le Capital de Marx ? paru le 12 octobre 2015 aux éditions Smolny (Toulouse).ISBN : 978-2-9528276-69 320 pages / 14 x 21 cm / 20 euros.

    Voir aussi sur la pertinence de cet ouvrage et, plus généralement, de Marx lui-même :Rencontre de la pensée marxiste : Quels enjeux pour la formation au 21ème siècle ? Conférence débat avec Bernard Friot et Jean-François Bolzinger.Lien : {.Site.BaseURL}/c36436be5a826b26bd7d40acf9a21397

    Un membre anonyme de Réseau Salariat.