Versus : le lexique

19/06/2011     CHRISTINE JAKSE

    Versus : le lexique

    Le lexique met face à face deux séries de mots ou d’expressions en apparence similaires, substituables ou proches. Ils sont séparés par le mot VERSUS, qui exprime leur opposition ou leur incompatibilité car les mots ou expressions avant « VERSUS » relèvent de la logique capitaliste, les mots ou expressions après « VERSUS » d’une logique visant à s’en émanciper.

    [*] signifie que le mot ou l’expression fait partie des mots ou expressions définis dans ce lexique.

    Compétence et Employabilité VERSUS Qualification professionnelle et Statut

    Compétence : qualité reconnue à un travailleur par son employeur pour exercer une ou plusieurs tâches requises pour un poste X ; l’ensemble des qualités peut couvrir les savoirs, savoir-faire, savoir-être ; le niveau et la forme de valorisation (ex. prime), évolutifs, sont discutés dans le cadre d’un rapport interindividuel travailleur-employeur, et décidés en dernière instance par l’employeur. Le management constitue l’ensemble des compétences requises pour encadrer ; il comprend la maîtrise des techniques qui visent à augmenter la productivité des ressources humaines[*] ; ces techniques concernent l’organisation du travail, du temps, la gestion des conflits, le contrôle, etc.

    Employabilité : capacité de l’individu à occuper un emploi en fonction de ses compétences[*], évaluées par l’employeur, en particulier au moment de l’embauche. Ressource humaine[*] en devenir.

    Qualification professionnelle (secteur privé) : ensemble des attributs requis pour occuper un poste de travail valorisés monétairement par un salaire[*] et des revenus[*] (ex. primes, intéressement, participation). Le salaire est inscrit dans une grille salariale, à l’échelle de la branche professionnelle, négociée[*] par les organisations syndicales et patronales[*], avec un encadrement de l’Etat. Le tout est consigné dans une convention collective. En cas de contradiction entre le Code du travail et la convention collective, ce sont les dispositions les plus favorables au salarié qui sont applicables. Il s’agit du principe de faveur. La qualification professionnelle est attribuée au poste de travail, et par transposition, au producteur[*] au moment où il l’occupe.

    Statut du salarié dans le secteur privé : ensemble des droits du salarié, régis par la convention collective de branche, le code du travail et le code de la sécurité sociale.

    Statut de la fonction publique : il englobe notamment un droit à un salaire jusqu’à la retraite inscrit dans une grille indiciaire, en fonction du grade, un droit à une progression salariale systématique reposant sur l’ancienneté[*], un droit à la mobilité sans perte du grade et qui repose sur des critères qui excèdent des considérations professionnelles (comme le rapprochement familial, de conjoint, l’ancienneté de la demande), un droit au détachement sans perte du grade. Le grade est le nom de la qualification professionnelle dans la fonction publique, attribuée à la personne du fonctionnaire ; cette caractéristique déterminante distincte de la qualification dans le secteur privé, évite au fonctionnaire tout phénomène de déqualification.

    Expérience VERSUS Ancienneté

    Expérience : forme de compétence[*]. Elle correspond à la durée de travail passée dans un poste X. Parce qu’elle est l’expression du caractère expérimenté du salarié sur ce poste, elle constitue un critère de recrutement important et d’élévation du revenu[*]. Elle évite une formation coûteuse à l’employeur car elle fait du salarié un employable. De fait, elle écarte tout jeune postulant.

    Ancienneté : critère du statut de la fonction publique[*]. Elle correspond à la durée de travail passée dans tous les postes antérieurs. Que le salarié soit ou non expérimenté dans le poste X, l’ancienneté lui permet de rendre systématique la progression de son salaire[*] et, surtout, parce qu’intégrée dans le statut de la fonction publique[*], elle permet des mobilités géographique, fonctionnelle et ascendante, sans remise en cause de ce droit à salaire progressif.

    Ressource humaine VERSUS Salarié (secteur privé) ou Agent (secteur public) ou producteur (secteurs privé et public)

    Ressource humaine : individu employable[*], qui présente l’ensemble des compétences[*] requises pour un poste X et dont la valorisation monétaire tend vers un revenu[*]. Ce travailleur est d’abord et principalement une ressource (nom), dont la caractéristique est ensuite et accessoirement d’être humain (adjectif) : au même titre qu’une matière première, il est – via ses compétences[*] – incorporé à la marchandise ou au service qu’il produit. L’enjeu pour l’employeur est de mobiliser cette ressource au plus loin grâce aux techniques de management, au moindre revenu[*]. La ressource humaine déshumanise le producteur.

    Salarié ou agent de la fonction publique ou producteur : producteur titulaire d’une qualification professionnelle[*] (secteur privé) dont la valorisation monétaire est un salaire[*] exprimé dans des grilles salariales ou producteur titulaire d’un statut de la fonction publique[*] (agent/fonctionnaire), comprenant un grade, dont la valorisation monétaire est un salaire[*] reconnu dans une grille indiciaire.

    Revenu VERSUS Salaire

    Revenu : toute ressource monétaire qui n’est pas du salaire[*].

    • Il peut s’agir d’une valeur monétaire attribuée en échange de la réalisation d’une tâche (prime de rentabilité) ou de la mise en œuvre d’une compétence (prime de technicité) ou de l’atteinte de résultats excédant les objectifs fixés (prime de performance) ; ce type de revenu renvoie à la notion de prix de la marchandise « ressource humaine[*] ».
    • Il peut s’agir d’une ressource forfaitaire tutélaire, financée par l’impôt[*], dont le montant correspond au prix des marchandises jugées suffisantes pour subvenir à des besoins primaires (RSA, minimum vieillesse, indemnité chômage du régime public, crédit d’impôt).
    • Il peut s’agir des revenus du capital non investis (produits financiers).

    Salaire : tarif à la qualification professionnelle[*] (secteur privé), au grade (statut de la fonction publique[*]) négocié par les organisations syndicales et patronales[*] à l’occasion de négociations sociales[*] (c’est la négociation collective) dans le secteur privé, à l’occasion des commissions paritaires dans le secteur public. Le salaire comprend le salaire direct et l’ensemble des ressources issues de la cotisation sociale[*] (pension des régimes de base et complémentaires, indemnité du régime d’assurance chômage, ressources perçues en cas de maladie, allocations familiales). Le salaire dans la fonction publique ne peut être que progressif. Il peut être dégressif dans le secteur privé en cas de déclassement (déqualification).

    Impôt ou taxe VERSUS Cotisation sociale

    Impôt ou taxe : prélèvement sur un ou plusieurs revenus dont le taux est fixé par voie parlementaire ; l’impôt ou la taxe peut être fléché (ex. la contribution sociale généralisée dédiée notamment au financement de la branche santé de la sécurité sociale) ou non fléché (ex. TVA ou impôt sur le revenu) ; la CSG est a priori prélevée sur tous les revenus, dans les faits, sur les revenus des ménages.

    Cotisation sociale : prélèvement sur la valeur ajoutée dont le taux est fixé par les organisations syndicales, patronales et l’Etat. La cotisation sociale finance exclusivement la sécurité sociale. Elle est partagée en deux morceaux : la cotisation salariale (minoritaire) et la cotisation patronale (majoritaire). L’une et l’autre sont un pourcentage du salaire brut (salaire net + la cotisation sociale salariale) ; chaque mois, tandis que le salarié reçoit son salaire net, l’employeur verse à l’Urssaf l’ensemble de la cotisation, salariale et patronale.

    Partenaires sociaux VERSUS Organisations syndicales et patronales

    Partenaires sociaux : représentants des salariés et du patronat en premier lieu, dans l’optique d’imposer l’idée de consensualisme, la notion de « partenaires » nie un double conflit ; celui qui oppose les syndicats de salariés aux représentants patronaux, ce qui pourrait s’apparenter à un déni de l’opposition de classes (capital / salariat) et celui qui oppose les organisations syndicales entre elles d’une part, les organisations patronales entre elles d’autre part, correspondant notamment à un déni d’opposition entre catégories de travailleurs (ex. cadres, non cadres) et catégories de patronats (ex. petits patrons, grand capital). En second lieu, l’adjectif (sociaux), dans cet usage précis, exclut tout caractère politique à la lutte syndicale et range la revendication hors de l’économique. Le social minore la portée des revendications, car le social se situe en deçà de l’économique et du politique dans les hiérarchies de l’idéologie dominante qui traverse toute notre formation sociale[*], alors même qu’une revendication salariale relève de l’économique au sens de l’idéologie dominante (coût du travail) et du politique si l’on convient que le salaire est une institution politique.

    Organisations syndicales et patronales : les deux expressions opèrent une scission nécessaire pour affirmer le caractère conflictuel des parties opposées et, les pluriels indiquent la pluralité des représentations salariales et patronales.

    Dialogue social VERSUS Négociation sociale

    Dialogue social : échange, consultation des partenaires sociaux[*] sur des objets sociaux au sens de l’idéologie dominante (c’est-à-dire non économique, y compris par exemple sur des objets comme le salaire, et non politique, y compris sur des objets comme par exemple la répartition de la valeur ajoutée), dans le cadre des relations sociales[*].

    Négociation sociale : confrontation sur des objets sociaux par nature conflictuels, entre représentants d’intérêts opposés, les organisations syndicales et patronales, en vue d’aboutir à un compromis ou un accord.

    Relations sociales VERSUS Rapports sociaux

    Relations sociales : échanges entre parties de même nature et de force équilibrées ou équivalentes, éventuellement à la recherche d’un consensus. Dans le domaine professionnel, expression compatible avec celles de dialogue social[*] et de partenaires sociaux[*].

    Rapports sociaux : ensemble des rapports, conflictuels ou non, équilibrés ou non, interindividuels ou entre groupes, constitutifs d’une formation sociale[*] (rapport de parenté, médecin-malade, capital-travail, sociaux de genres...) ; le terme suggère l’existence de deux faces d’un même objet. La notion de social embrasse l’ensemble des formes que prennent ces rapports. Dans le domaine professionnel, expression voisine de celles de négociation sociale[*] et d’organisations syndicales et patronales[*].

    Marché du travail VERSUS Appareil de production

    Marché du travail : rencontre entre une offre de travail et une demande d’emploi, qui fait du travailleur un employable[*] et une ressource humaine[*], dont le prix est un revenu[*].

    Appareil de production ou appareil productif : lieu de transformation de la matière (physique, intellectuelle) par le producteur, porteur d’une qualification[*] et d’un statut[*], payé par un salaire[*].

    Société VERSUS Formation sociale (à approfondir)

    Société : ensemble des composantes institutionnelles d’un pays. L’expression renvoie à un état fixe du pays et de ses institutions, hiérarchisées (dans l’ordre : politiques, financières, économiques, sociales).

    Formation sociale : situe le pays ou toute autre territoire faisant unité dans une dynamique historique de transformation passée et à venir.

    Egalité des chances ou Equité VERSUS Egalité de droit (ou de traitement)

    Equité ou égalité des chances : l’équité part d’un postulat selon lequel il y a des inégalités justes et d’autres injustes. L’équité justifie des droits différenciés pour les premières et la recherche d’égalité pour les deuxièmes : par exemple, au nom de l’équité, la revendication ou la décision va porter sur un niveau de retraite variable selon la durée de cotisation du cotisant ou sur une indemnité chômage strictement contributive (un jour cotisé=un jour indemnisé). Parallèlement, tous les individus présentant les mêmes caractéristiques doivent pouvoir bénéficier des mêmes droits (ex. les personnes ayant commencé à travailler à 14 ans doivent pouvoir prendre leur retraite à 60 ans). La notion de « mérite » et de « responsabilité individuelle » sont implicites dans la notion d’équité, plus explicites dans la notion - proche - d’égalité des chances. Celle-ci invite l’individu à saisir sa chance pour acquérir un droit (école). Elle masque les inégalités de base ou antérieures, reposant notamment sur des déterminants extérieurs à l’individu (origines sociales).

    Egalité (ou égalité de traitement) : le droit est universel. Par exemple, un droit à retraite à taux plein pour tous à 60 ans, que le nombre d’annuités soit complet ou non, que la personne ait commencé à travailler à 14 ans ou non.