Coopérative contre Capitalisme: Un livre de bord pour la transition à venir

18/10/2016     XAVIER MORIN

    Coopérative contre Capitalisme: Un livre de bord pour la transition à venir Compte-rendu de lecture du livre de Benoît Borrits, « Coopérative contre capitalisme ».

    L’état des lieux

    B. Borrits a la bonne idée de commencer son ouvrage par le slogan de la confédération générale des SCOP : « La démocratie nous réussit ». C’est en effet le meilleur moyen de remotiver la classe ouvrière, mais aussi les militants que nous sommes, déprimés par la morosité ambiante, le peu d’audience de nos thèses, et les discours des grands média. Ce slogan nous rappelle que la révolution est en marche, car le réseau des SCOP est en effervescence. Des entreprises capitalistes mettent la clef sous la porte, mais sont reprises par leurs salariés, sous la forme avancée de coopératives. Ces reprises d’entreprises ne représentent que 10 % des créations, c’est dire le potentiel qui se propose à tous les travailleurs. Certes, les obstacles sont nombreux, de nature psychologique, financière et juridique, mais bien des collectifs les ont franchis. L’auteur nous donne quelques exemples, très différents les uns des autres : Starissima, Seafrance, Fralib, Pilpa, Fontanille, et quelques autres encore, venus de l’étranger.

    Dans le deuxième chapitre, c’est la solidité et la pérennité des SCOP qui nous sont démontrées, chiffres à l’appui, suivant d’autres exemples : Ceralep, Acome, et surtout cet ovni espagnol, Mondragon, énorme « coopérative de coopératives », cumulant jusqu’à 90 000 salariés ! Ce dernier exemple est d’un grand intérêt, au regard des thèses de Réseau Salariat, car il anticipe le principe de la caisse d’investissement. Car en effet, l’une de ces coopératives est une banque, dont les autres coopératives sont les associées, et peuvent ainsi la contrôler. Ce principe pourrait déjà se mettre en œuvre en France, par le moyen des SCIC, dont les statuts permettent cet assemblage. Nul besoin de préciser qu’une telle construction renforce toutes les parties qui la composent, et permet d’envisager une offensive sur le terrain du Capital, par la prise progressive de ses parts de marchés !

    Ceci étant, il faut rester vigilant, et bien observer ce qu’il en est de la démocratie, dans ces coopératives. Leurs statuts autorisent un progrès en ce sens, mais toutes ne sont pas exemplaires. Il suffit de penser au Crédit Mutuel, ou au Crédit Agricole, dont l’objet a été totalement dévoyé. Ce régime statutaire est des plus prometteurs, mais il n’offre aucune garantie. L’essentiel demeure la conscience politique des participants, laquelle se voit soumise à rude épreuve, dans un tel environnement.

    La fin de la lutte des classes

    A lire B. Borrits, nous en avons confirmation, le « grand soir » est un mythe. La révolution est en cours, faite d’avancées et de reculs, et nous abordons la phase décisive. Le rejet trop fréquent de nos thèses, sur leur caractère supposé utopique, est de plus en plus ridicule. Non seulement le salaire à vie existe déjà, ainsi que le financement par subvention, mais le réseau des SCOP est en constante augmentation. Ce dernier point est décisif, car les SCOP sont le premier espace de la démocratie, c’est-à-dire de cette notion que nous avons élaborée : la « citoyenneté économique ». D’ailleurs, l’auteur le dit à sa manière, dans le troisième chapitre, ce que les SCOP réalisent, c’est la fin de la lutte des classes, car toutes les décisions s’y prennent collectivement. Les salariés n’ont plus de patron, sans pour autant que leur travail devienne l’objet d’une prédation, comme c’est le cas dans le système Uber, ou le statut d’auto-entrepreneur.

    Bien sûr, cette opération s’accomplit à un niveau microéconomique, mais elle ne demande qu’à s’étendre, par d’autres reprises, et d’autres créations. C’est donc sur les obstacles qu’il faut porter notre attention, dont le plus grand est de nature psychologique, car la reprise en SCOP est toujours vue comme un ultime recours, quand la situation semble perdue. Pourtant, nous avons tout à y gagner, car l’Histoire nous l’a montré, durant le vingtième siècle, la solution ne viendra pas de l’État, mais des salariés eux-mêmes. Pour que la production soit réellement démocratique, il faut que les salariés en prennent la direction. Ils sont les mieux placés pour accomplir cette tâche, car ils sont détenteurs des savoirs qui s’y rapportent, dans chaque aspect de la production, et ce bien plus que les actionnaires, et autres fonctionnaires d’État.

    Cependant d’autres obstacles apparaissent, et des plus concrets, concernant le financement de ces coopératives, et leur validation aux tribunaux de commerce. Ces difficultés en appellent au pouvoir politique, lequel doit assumer ses responsabilités, et « choisir la reprise, plutôt que la faillite », comme nous le dit B. Borrits. La croissance est nulle, et l’investissement est très faible. Le modèle capitaliste est à bout de souffle. Il ne survit que par la casse sociale et la dégradation de l’environnement, sans parler des guerres qu’il finance, en vue de nouveaux marchés. L’obstination en ce sens, de la part des politiques, est certainement le fruit de la corruption, ou de l’idéologie, car le modèle des SCOP est sous leurs yeux, et il a fait ses preuves.

    Le temps de la transition

    Au chapitre suivant, l’auteur énumère les mesures à prendre, dans l’espoir d’une venue au pouvoir d’un gouvernement progressiste. Il s’agit de la baisse du temps de travail, de l’augmentation des salaires, du développement des cotisations, notamment pour les caisses de retraites et d’assurance maladie. Il avance à grands pas vers le salaire socialisé, et propose une nouvelle cotisation, dédiée à l’investissement, ce qui anticipe fortement l’appropriation sociale des moyens de production. C’est le monde que nous voulons qui se profile, d’une réalité déjà effective. Nous sommes bien d’accord avec lui, à Réseau Salariat : ce n’est plus qu’une question de volonté politique, dans la sphère du pouvoir, et de prise de conscience, dans le monde ouvrier.

    D’autres mesures sont proposées, pour cette phase de transition, notamment la péréquation de la richesse disponible. Il s’agit d’un système de transfert entre les entreprises,  calculé sur la valeur ajoutée produite par 1 salarié, sensiblement différente selon la taille de ces entreprises. Cette proposition vise à soutenir les petites structures coopératives, et neutraliser les grosses sociétés de capitaux.

    Ce chapitre s’achève sur une brève analyse de nos thèses. Leur pertinence est ici confirmée, quant à leur mode de financement, et au statut de producteur qu’elles impliquent. Cependant l’auteur émet un doute sur la déconnection totale entre le versement d’un salaire et les résultats effectifs de l’entreprise. Nous connaissons cette objection, laquelle présuppose une « nature humaine » encline à la paresse, ce que nous contestons vigoureusement. Certes, nous observons la paresse de certains, et le peu de citoyenneté qu’ils manifestent, mais ce constat concerne le monde capitaliste, et ne constitue pas une vérité définitive sur la « nature humaine ». D’ailleurs, il n’y a pas de « nature humaine », mais des institutions, lesquelles conditionnent tous nos comportements. Ceci dit, les arguments de B. Borrits sont parfaitement recevables, car ils concernent essentiellement la phase de transition.

    Le plus efficient, dans la dernière partie, concerne tout l’importance accordée à la cotisation, au détriment de l’impôt. Elle est perçue comme « le meilleur moyen d’augmenter la part des salaires dans la valeur ajoutée », et de « pratiquer une fiscalité à la source ». A ce sujet, l’auteur insiste sur le fait que « la politique sociale se décide au sein d’un parlement national », et que cet aspect des choses, décisif s’il en est, ne relève pas de l’Union Européenne. Nous pouvons donc envisager de nous appuyer sur un gouvernement progressiste, lequel aura compris, espérons-le, qu’il ne s’agit en aucun cas de nationaliser nos entreprises, mais de favoriser leur appropriation sociale.

    C’est donc à la « gauche de gauche » que ce livre s’adresse, pour l’inviter à établir un programme de démocratie économique, par la péréquation de la valeur ajoutée, la cotisation « investissement », et le moyen juridique de prise de contrôle des entreprises par les salariés. Nous ne pouvons qu’adhérer à ce programme, et nous joindre à l’auteur, tant nous partageons toutes ses analyses.