Comment financer les entreprises en se passant des banques et des actionnaires

17/05/2016     ROMAIN CASTA

    Comment financer les entreprises en se passant des banques et des actionnaires

    Délocalisations, suppressions d’emplois, fermetures d’usines, exigences de rentabilité indécentes, patrons voyous, parachutes dorés, réductions des salaires pour augmenter la rémunération des actionnaires, mépris du droit du travail… Les critiques des agissements des banques et des actionnaires qui sont les principaux investisseurs capitalistes sont multiples, même au sein des partis politiques majoritaires, dits « de gouvernement ».

    Néanmoins, cette critique parfois violente finit beaucoup trop souvent par des aveux d’impuissance : ces investisseurs capitalistes seraient indispensables, il faudrait les attirer, car ils créeraient de l’emploi… Sans eux, point de salut, ni emploi, ni production et bien sûr chômage, misère et pauvreté.

    Ils seraient seuls détenteurs d’un pouvoir unique, inébranlable et sacré : l’investissement ! C’est-à-dire le pouvoir de mettre de l’argent dans une entreprise pour assurer sa création ou son développement. Ils auraient seuls la capacité de financer les entreprises et l’économie. Les salarié.e.s devraient donc les supporter sans trop broncher, ce serait une sorte de moindre mal et ils seraient essentiels à toute production.

    L’exemple des sociétés coopératives de production

    Pourtant, des poches de résistances existent ! Des salarié.e.s qui se rendent copropriétaires de leur entreprise et la dirigent collectivement en prenant la place des investisseurs capitalistes : les Sociétés Coopératives de Production (SCOP). La Fabrique du Sud (ex Pilpa) et Scop’Ti (ex Fralib) sont deux exemples récents d’entreprises arrachées par leurs salarié.e.s à leurs ancien.ne.s actionnaires au prix de luttes longues, difficiles et victorieuses. Ces entreprises sans investisseurs capitalistes, et donc sans patrons et sans actionnaires, enthousiasment à juste titre les mouvements critiques du capitalisme, mais elles restent malheureusement des cas bien trop particuliers, les SCOP, qui représentent la grande majorité de ces entreprises autogérées, comptent déjà en France 26.900 salarié.e.s, mais moins d’un.e salarié.e sur mille.

    La première cause de ce faible développement des SCOP est la difficulté d’accès au financement qu’elles rencontrent. Ce rôle de financement est dévolu dans une entreprise classique à l’investisseur capitaliste : riche actionnaire majoritaire de l’entreprise qui complétera éventuellement son apport par des prêts bancaires. Dans une SCOP, cet investissement repose principalement sur les salarié.e.s, car les banques ne leur accordent que très difficilement les prêts nécessaires à la création ou à la reprise de leur entreprise. L’adage « les banques ne prêtent qu’aux riches » est ici pleinement appliqué, les salarié.e.s n’ayant que peu d’apports personnels comparativement aux investisseurs capitalistes.

    Le système capitaliste a tout intérêt à maintenir ces difficultés d’accès au financement pour les SCOP. Si les salarié.e.s pouvaient se financer elles et eux-mêmes sans recourir aux banques ou aux actionnaires, ces investisseurs capitalistes deviendraient rapidement inutiles remettant ainsi en cause tout un système économique basé sur l’appropriation par le capital des outils de production.

    Socialiser l’investissement pour se passer des banques

    La question du remplacement des investisseurs capitalistes traditionnels a donc une importance fondamentale si nous voulons augmenter le nombre des entreprises gérées par leurs salarié.e.s, et donc sortir progressivement du système économique capitaliste.

    L’association d’éducation populaire Réseau Salariat propose, pour se passer des investisseurs capitalistes, la création d’une cotisation investissement. L’ensemble des salarié.e.s financeraient via cette cotisation des caisses locales d’investissement gérées par les citoyen.ne.s et pour les citoyen.ne.s, sans intervention ni de l’État, ni du patronat. Ces caisses d’investissement auraient une puissance financière comparable à celle des banques et des actionnaires et elles seraient dédiées uniquement au financement des SCOP autogérées par leurs salarié.e.s via des prêts et/ou des subventions bien plus avantageux que ce que proposent les banques aujourd’hui.

    Ce système présentera plusieurs avantages. Les caisses seront autogérées localement par les citoyen.ne.s en suivant les meilleurs exemples de démocratie participative. Ce sont donc les producteurs qui maîtriseraient le financement de leur économie, mettant ainsi hors-jeu les investisseurs capitalistes et leurs alliés politiques. Nous pourrions décider nous-mêmes de la destination des investissements, selon des critères qui seront bien différents de ceux appliqués aujourd’hui par les investisseurs capitalistes qui n’ont pour obsession que le profit à court termes.

    D’autre part, et contrairement aux investisseurs capitalistes obsédés par les profits à courts termes, les caisses d’investissement ancrées localement et gérées par les citoyens prendront en compte l’utilité réelle des projets financés ainsi que leurs conséquences sur l’environnement, privant ainsi de financement les grands projets inutiles par exemple et favorisant les projets ayant une forte utilité sociale ou environnementale délaissés jusque là par les investisseurs capitalistes.

    0,1% des salaires pour commencer à subvertir le capitalisme !

    La cotisation investissement sera bâtie en prenant pour modèles les cotisations consacrées aux retraites ou à l’assurance maladie qui socialisent une partie des salaires pour financer la Sécurité Sociale. Contrairement à l’impôt sur la fortune prélevé sur le capital, ou à la taxe Tobin prélevée sur les transactions financières, celles-ci sont assises sur les salaires. On peut y voir une grande injustice. Pourquoi les capitalistes opulents ne seraient-ils pas mis à contribution ? Mais c’est bien ce qui est au cœur de la proposition, financer l’économie sans les investisseurs capitalistes et donc sans leur capital et leurs transactions financières internationales. Nous n’en avons pas besoin ! Une fois que nous aurons appris à nous passer d’eux, leur pouvoir sur nos vies s’effondrera.

    La capacité de financement de cette cotisation serait potentiellement très importante, une cotisation investissement socialisant seulement 0,1% des salaires permettrait de réunir chaque année plus d’un milliard d’euros directement disponibles pour l’investissement dans les entreprises autogérées par leurs salarié.e.s.

    Finalement, une fois ce système de caisses d’investissement mis en place, il sera aisé de l’étendre via une augmentation de la cotisation investissement pour augmenter régulièrement la proportion des entreprises autogérées par leurs salarié.e.s jusqu’au jour où l’entreprise autogérée deviendra la nouvelle norme.

    Évidemment, ces caisses d’investissement ne pourront pas résoudre tous les problèmes. Des conflits auront lieu à l’intérieur même des caisses sur les secteurs de l’économie à financer. Est-ce qu’il faut financer l’agriculture biologique ? Est-ce qu’il faut financer la filière nucléaire ? Mais on peut penser qu’une fois que les grandes entreprises de l’agriculture et de l’énergie seront gérées par leurs salarié.e.s, ces questions se poseront différemment. Les deux exemples de La Fabrique du Sud et de Scop’Ti sont d’ailleurs frappants, les deux entreprises ont réorienté leurs productions vers des produits de meilleure qualité, en utilisant des fournisseurs locaux pour leurs matières premières et en mettant en place une nouvelle gamme bio dans le cas de Scop’Ti. Ces exemples illustrent que les choix économiques des travailleurs sont bien différents de ceux des investisseurs capitalistes.

    La plus grande force de ce projet est sans doute qu’il trace une voie pour une réelle alternative à l’économie capitaliste de manière concrète et progressive. Une fois étendue à la majorité de l’économie, ce financement par les citoyen.ne.s pour les citoyen.ne.s rendra l’investissement capitaliste, et donc les capitalistes eux-mêmes, inutiles. Mais dans le même temps, un gouvernement progressiste appuyé par un fort mouvement citoyen, pourrait mettre en place demain une cotisation investissement d’abord avec un taux relativement faible puis l’augmenter progressivement. Ainsi, la création d’une cotisation investissement représente un projet à la fois fondamentalement anticapitaliste et ancré dans le réel.

    La cotisation investissement n’est pas une solution miracle et des conflits subsisteront entre les citoyens à l’intérieur des caisses, mais l’intérêt des capitalistes sera complètement exclu de celles-ci et les citoyens auront récupéré un droit politique que nous aurions toujours dû avoir, celui de décider nous-mêmes quoi, quand, où et comment produire.