Parasites (ou figures de la bourgeoisie ?) de N. Framont
J’ai lu Parasites du camarade Nicolas Framont. Je l’ai dévoré.
Des Visages des Figures
Écrit à la première personne, mêlant analyses, expériences militantes et professionnelles, c’est un livre très agréable et facile à lire. Cet ouvrage brosse les portraits de la bourgeoisie. Il a pour grand mérite de montrer que la classe dirigeante a des visages, des noms, et qu’elle est faite de vrais hommes de chair et d’os (les femmes ne sont pas très nombreuses dans la bourgeoisie, patriarcat oblige…) : Rodolph Saadé, Michel-Edouard Leclerc, Jean Charle Naouri et bien d’autres…
Les biens connus “scandales”, “affaires”, ou “casseroles” constituent la base matérielle majeure de ce texte pour développer une analyse de cette classe qui a le pouvoir économique, politique et médiatique.
Une anatomie de la bourgeoisie
Filant la métaphore du parasite, Nicolas Framont s’attache à décrire l’anatomie de la bourgeoisie, sa toxicité, ses symptômes, et propose des remèdes pour lutter contre. Il rappelle que l’on naît bourgeois, et qu’on ne le devient pas (80% de la richesse des milliardaires français était due à l’héritage…).
La bourgeoisie est analysée comme une classe dirigeante ayant le pouvoir économique, politique et médiatique. Il insiste sur le fait que les hauts fonctionnaires de l’état, ou les dirigeants des grandes entreprises font partis du même monde social, et qu’il n’y a par exemple, que peu de sens d’opposer les lobbies aux politiques puisqu’ils partagent les mêmes intérêts de classe. Ainsi, il est facile de comprendre pourquoi les aides publiques aux entreprises, décidées par des gouvernements et des parlementaires défendant les intérêts de leur classe, sont réellement colossales et s’élèvent à 157 milliards chaque année, sous forme d’exonération fiscale ou de cotisations sociales.
Les acteurs de l’hégémonie
Cette classe sociale très minoritaires démographiquement, s’appuie sur d’autres que Nicolas Framont nomme la sous-bourgeoisie et la petite bourgeoisie. La première est le monde des philosophes, ex-politiciens, chroniqueurs, éditorialistes, essayistes qui sont des idéologues au sens de Marx, c’est à dire ceux qui relaient une pensée qui est l’expression en idées des conditions matérielles dominantes, donc qui propagent la doxa libérale. Sans être eux-mêmes des propriétaires de moyens de production, cette interclasse est persuadée de l’inexistence de la lutte de classe, et fait donc parfaitement la courroie de transmission pour préserver le pouvoir économique et politique de la bourgeoisie (qui elle croit en la lutte de classe et connaît ses intérêts).
La petite bourgeoisie quant à elle, est celles des notables, petits patrons et professions libérales. Petits propriétaires de moyens de production par leur capital, ils ont un pouvoir économique et politique restreint, mais contribuent de manière importante à la diffusion de l’idéologie dominante, en se disant proche du peuple.
Les nuisances…
Nicolas Framont diagnostique ensuite les symptômes sociaux caractéristiques du parasitisme bourgeois. La grande privatisation de pans entiers de la production publique (santé, énergie, éducation, transport), la grande subvention des entreprises privées, la grande complexification (bureaucratisation), la grande démission des travailleurs de leur emploi, et la grande destruction écologique, sont les grandes tragédies de ce qu’il appelle le néo-libéralisme.
Il évacue d’abord les faux remèdes identitaires (faire porter la responsabilité de ces maux aux étrangers qui sont les éternels boucs émissaires du capitalisme en crise), néolibéraux (les réformes anti-sociales qui ne seraient jamais assez rapides et radicales pour porter leurs fruits), et souverainistes (l’Europe serait la seule responsable du marasme ambiant contrairement aux gentils gouvernements qui ne veulent que le bien des citoyens) avant de faire ses propositions en la matière.
Du “Développement collectif” pour lutter
Ses remèdes sont prescrits à la manière d’un guide de “développement collectif”. Aux interrogations ou avis que tout militant s’est confronté au moins une fois dans sa lutte : “Mais pourquoi les gens ne se révoltent-ils pas ?”, “de toute façon les gens sont cons”, “ce sont des moutons”, Nicolas Framont nous invite à reconnecter le militantisme et l’empathie entre travailleur-euses, pour qu’on puisse dire dans nos organisations militantes “tu verras =[en t’engageant à nos cotés], tu n’arriveras plus à détester qui que ce soit”. Il nous incite donc à ré-apprendre à être fier de sa classe sociale, à mépriser et se moquer du ridicule de ceux qui nous dirigent, à cultiver l’espoir et le rapport de force, à reconstruire une morale de classe et s’organiser.
Un bon outil militant
L’intérêt de ce livre est donc de montrer que la finance a des visages, qui appartiennent à une même classe sociale : la bourgeoisie, et qui tire son pouvoir économique, politique et médiatique d’un ordre social particulier : le capitalisme.
Même si je n’ai pas appris de nouveaux faits, ni découvert de nouvelles théories ou pratiques de luttes, la clarté de l’écriture non jargonneuse donne de l’inspiration pour la pratique militante. Avec de grands moments à “consommer sans modérations” comme ce passage du livre de Bruno Lemaire à propos d’Emmanuel Macron :
il se tut, me fixa de son regard bleu sur lequel glissaient des éclats métalliques, comme un lac accablé de soleil dont il aurait été impossible, sous le scintillement des reflets, de percer la surface.
Une classe pour soi : la bourgeoisie
Toutefois, en tant que militant de réseau salariat, je ne peux être que déçu d’un tableau décrivant essentiellement l’écrasant pouvoir bourgeois sur la classe laborieuse décrite comme moins organisée et ne possédant plus que les méthodes datées ou ringardisées. Contre ce pouvoir tentaculaire (économique, politique et médiatique), l’ordonnance médicale de développement collectif ne semble pas vraiment à la hauteur de l’enjeu, même certaines prescriptions peuvent résonner avec notre pratique militante, ou ce que l’on aimerait qu’elle soit.
Typiquement, lorsque nous répétons sans cesse à réseau salariat, que les institutions révolutionnaires du régime général de la sécurité sociale (analysées comme telles dans Parasites d’ailleurs), sont le fruit de hautes luttes de la classe ouvrière contre le patronat et l’État en 1946, nous battons en brèche le récit bourgeois de la grande compromission de l’après guerre, et nous contribuons je crois, à la fierté d’appartenir à la classe du salariat, héritière de la classe ouvrière.
Imaginaire émancipateur mais sans rupture
Nicolas Framont appelle de ses vœux à imaginer des organisations politiques et syndicales capables de s’opposer à ce pouvoir. Et dans l’épilogue, il imagine même un monde post révolutionnaire d’auto-organisation citoyenne. Certes, nous (militant-es de réseau salariat) partageons l’impérieuse nécessité de reprise en main rapide de l’outil de travail par les salariés.
Mais comment ne pas bondir lorsque par exemple, il imagine la réappropriation de Total Énergie sous la forme d’une “réattribution rapides des profits vers un capital commun aux salariés et aux États”… et où les dividendes, seraient “réorientés à la recherche et au développement d’alternatives aux énergies fossiles”. Comme si l’exploitation serait mieux acceptable si elle était celle des travailleurs plutôt que des patrons…
Ce n’est peut-être qu’une maladresse mais à réseau salariat, nous ne militons pas pour prendre les rênes du capitalisme, mais pour étendre et généraliser le déjà là communiste que sont les institutions du régime général.
Le travail sans capital
En effet les exigences d’une avance en capital, d’une création de sur-valeur et d’un remboursement de la dette avec intérêts, ont été balayées par la production de soin du régime général, où seule l’avance en salaire est nécessaire pour produire des biens et services d’une qualité inégalée mondialement (la production de soin en France a été la meilleure sur le plan mondial pendant des décennies avant l’imposition des politiques d’austérités par l’état).
Oui la gestion de la production par les travailleur-euses, comme ce fut le cas de la gestion des caisses de la sécu entre 1946 et 1967 est absolument nécessaire, mais nous soutenons que le caractère communiste du mode de production que pose le régime général, est tout aussi fondamental dans la lutte contre le capitalisme.
Stratégies
Sans prétendre que réseau salariat soit une de ces organisations politiques et syndicales capables de s’opposer au pouvoir de la bourgeoisie, nous pensons apporter notre pierre à l’édifice stratégique de sortie du capitalisme.
Nos actions et nos travaux pour des extensions du régime général (alimentation, culture, logement, énergie, transport…) s’appuyant sur les travailleur-euses de ces secteurs, et sur la généralisation du salaire à la personne, permettent de montrer que les citoyen-nes producteur-ices sont capables de vivre et de produire sans le fouet des prêteurs, des investisseurs et des opérateurs de marchés.
Par l’attribution d’un salaire à vie à toute les personnes majeures comme condition de la liberté sur le travail, et non comme contre partie d’un travail subordonné, un avenir débarrassé du capitalisme se dessine. Nous pensons que cette visée communiste qui s’appuie sur les conquêtes de la classe ouvrière, est une boussole utile et mobilisatrice pour engager radicalement le salariat contre la bourgeoisie.
Un dernier mot
Pour conclure, lisez Parasites qui aurait pu être sous-titré figures de la bourgeoisie, ou… attention teaser… attendez pour enchaîner avec la sortie du deuxième opus “figures du communisme salariat” de Nicolas Framont qui analyse de manière symétrique comment les luttes du mouvement ouvrier ont transformé le salariat, et comment elles se poursuivront pour sortir définitivement de l’ordre bourgeois, patriarcal et racial.
Sans pression aucune évidement pour l’intéressé… 😉