Entretien 📹 “Bernard Friot : Le salaire à vie existe déjà”

14/06/2021     CAMATRADE GROGU BOIT DU PIB SOCIALISÉ , NAMI , MARTIN VIT , LES TEMPS MODERNES

    Entretien 📹 “Bernard Friot : Le salaire à vie existe déjà”

    La pensée de Bernard Friot est loin d’être facile à comprendre, quand on n’y a pas déjà été un minimum initié. Ce n’est pas difficile en soi, mais il va à contre-courant d’une grande partie, autant de la pensée politique de gauche, révolutionnaire ou pas, que de la pensée dominante. Cet article va donc remettre certains concepts au clair, afin de permettre au lecteur de comprendre au mieux cette interview qui peut paraître obscure sur les points cruciaux pour le néophyte.

    Commençons par prévenir le lecteur que Bernard Friot est communiste et marxiste qui plus est. Et alors que certains s’apprêtent déjà à refermer la page en maugréant des choses comme « 1000 milliards de mille morts », empressons-nous de rétorquer que par communisme, Friot n’entend pas un idéal lointain que l’on atteindrait grâce à une prise de pouvoir, une révolution, un régime très autoritaire, menant peut-être à une société sans classes d’égaux que l’on ne verra probablement jamais. Au contraire, il reprend le sens que Marx et Engels ont d’abord donné au mot, c’est-à-dire « le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses.» (L’Idéologie allemande) Ce n’est pas prescriptif, il n’y a pas d’idéal communiste.

    Le communisme se construit empiriquement comme ce qui permet de sortir du capitalisme. Et là, arrive inévitablement la question de pourquoi on sortirait du capitalisme ? Est-ce seulement possible d’ailleurs ? Les raisons d’en sortir sont nombreuses et maintes fois développées ailleurs, pas la peine de s’y attarder. On peut en effet faire ces constats sur notre mode de production capitaliste actuel, tout en s’en accommodant, parce qu’on ne peut pas faire autrement, que le capitalisme existera toujours etc. Plutôt que de sortir du capitalisme, on préférera alors le rendre simplement plus supportable, en taxant du capital pour le redistribuer aux pauvres ou en mettant en place des aides (peut-être bientôt un revenu de base). Ne pas vivre bien mal, peut-être, mais exploité ! Mais, c’est là voir le capitalisme comme immuable, indépassable. Or, tous les modes de production ayant dominé avant le capitalisme ont fini par quasiment disparaître, grâce à la subversion grandissante en son sein d’un autre mode de production. C’est parce que la bourgeoisie naît pendant le féodalisme et qu’elle s’impose petit à petit dans les institutions qu’elle conduit au capitalisme. Sauf qu’il n’y a pas d’institution communiste au sein du capitalisme, si ? C’est justement tout l’intérêt des travaux de Bernard Friot, qui montre que le communisme a déjà commencé à s’imposer, même si l’on ne le remarque pas forcément, et même si ceux qui l’ont mis en place ne se rendent pas toujours compte que ce qu’ils ont mis en place EST un déjà-là communiste.

    Bernard Friot se présente comme historien de la sécurité sociale, sur laquelle portent ses travaux. En 1946, à la sortie de la seconde guerre mondiale, alors que la résistance était en grande partie communiste et que le PCF était au plus fort de son histoire, des ministres communistes sont mis en fonction pendant quelques mois, notamment Ambroise Croizat qui est nommé ministre du travail. Il met alors en place le régime général de la sécurité sociale, qui est financée par cotisations sociales, redistribuées ensuite sous la forme d’un service public gratuit. Et surtout, jusqu’en 1967, le budget de la sécurité sociale est géré par les travailleurs eux-mêmes. Ni l’Etat ni aucun acteur privé n’avait la mainmise sur ce budget. Les travailleurs du soin ne sont pas rémunérés selon leur productivité sur un marché, dans un rapport au capital mais en fonction de leur utilité sociale. S’opère alors un changement de ce qui fait valeur.

    Outre la sécurité sociale de la santé, se met en place en 46, le régime général des retraites, la retraite par répartition. Une part non négligeable de la population française se voit alors attribuer un salaire continué, détaché de l’emploi. Plus d’obligation à s’employer ne signifie cependant pas ne plus travailler. Une part importante des retraités n’est pas inactive et va faire des activités ou travailler comme bénévole par exemple. Ce salaire qu’ils touchent n’est pas uniquement la reconnaissance de leur utilité sociale, ils sont également reconnus comme producteurs de valeur. Un retraité ne touche donc pas ce qu’il a cotisé pendant ses années de travail, mais bien ce qu’il produit. Ce n’est donc plus seulement le fait d’être dans un emploi qui fait valeur.

    La troisième instance qui se met en place en 46, c’est le statut de la fonction publique. Les fonctionnaires ne sont pas payés en fonction de leur poste, mais en fonction d’un grade, d’une abstraction de leur travail, basée sur leur qualification. Ils ont une garantie, d’une part, de ne pas perdre leur emploi et d’une autre de ne jamais voir leur salaire baisser, puisqu’ils ne peuvent pas devenir moins qualifiés.

    Ni les retraités ni les fonctionnaires n’ont à prouver en permanence leur utilité sociale, leur productivité, c’est le déjà-là révolutionnaire d’une autre pratique de la valeur, le déjà-là d’un salaire à vie. Nous avons déjà en France le début d’institutions détachant le salaire de l’emploi. Le salaire est forcément lié au travail, mais le travail n’a pas à être lié à l’emploi. Tout l’enjeu est de continuellement tendre à augmenter les cotisations sociales pour augmenter la part de salaire socialisé, de déconnecter le salaire de l’emploi et de rattacher le salaire à une qualification personnelle et non plus à un poste. Cela ne veut pas dire qu’on arrivera vraiment un jour au modèle théorisé par Bernard Friot et Réseau Salariat, puisque les conditions matérielles changent en permanence et rien n’est fixe dans ce modèle. Seulement, les conquis sociaux et le déjà-là communiste, ne disparaissent pas et nous permettent d’envisager la manière dont on doit nécessairement continuer cette révolution débutée en 1946. A nous d’en être conscient et de décider comment on la continue.

    La chaine Twitch des Temps Modernes vous propose l’enregistrement de l’interview de Mr Bernard Friot (avec bientôt une version Youtube)

    ici pour la partie 1

    lĂ  pour la partie 2

    Texte de Camatrade Grogu

    Organisation de l’entretien et Video (“parkinson style”) de Nami

    Interviewer (engagées) et BG attitude de Martin__BL

    (la version Youtube sera proposĂ© dès qu’elle sera connue)