Non, le "coût" du non marchand n'est pas inclus dans le prix des marchandises !

27/07/2016     BERTRAND BONY

    Non, le "coût" du non marchand n'est pas inclus dans le prix des marchandises !

    L’entreprise et la valeur ajoutée

    L’entreprise marchande vend sa production au prix de vente sur le marché. Son chiffre d’affaires est égal à ce prix de vente multiplié par la quantité vendue.

    Lorsqu’on déduit de ce chiffre d’affaires les achats intermédiaires on obtient la valeur ajoutée (VA) de l’entreprise. On voit que ce calcul ne présuppose rien quant à ce que contient la valeur ajoutée de l’entreprise, celle-ci est un solde et ne représente absolument pas une grandeur significative de ce qui serait une propriété intrinsèque de l’entreprise. Cette valeur ajoutée est plus significative de la position de l’entreprise dans la chaîne de domination entre clients et fournisseurs que de ses caractéristiques intrinsèques.

    Que fait l’entreprise de sa valeur ajoutée, une fois celle-ci générée ?

    Sans entrer dans les détails comptables, la VA se répartit entre salaires (y compris la cotisation), impôts sur la production, amortissement des immobilisations, et enfin un résultat qui sera distribué ou non par l’entreprise à ses actionnaires (figure 1). Ces deux derniers postes, amortissements et résultat, constituent l’excédent brut d’exploitation (EBE), synonyme de profit.

    Figure 1

    Alors que toute valeur ajoutée est toujours créée par le travail des salariés, celle-ci est partagée lors de sa répartition primaire entre travail et capital. Le récit dominant décrit ce partage en parlant de coût du travail (toujours trop élevé) et revenu du capital (bien légitime et jamais assez élevé !).

    Le salaire total, cotisation incluse, représente ce que l’entreprise est obligée de payer pour obtenir du travail de ses salariés. Peu importe que cette somme soit entièrement versée à ses salariés ou seulement en partie, le reste étant mutualisé dans des caisses de protection sociale (figure 3).

    Des comptes de l’entreprise au PIB

    Indépendamment de ce que nous venons de voir, la partie de la monnaie versée par l’entreprise sous forme de cotisation (ou d’impôt sur la production) est transférée, via les caisses de protection sociale, à des administrations publiques ou à des fonctionnaires.

    Le montant de ces versements est utilisé par l’INSEE pour estimer la production de ces administrations ou de ces fonctionnaires.

    Prenons un exemple (figure 2) : soit une entreprise qui produit pour 1.500 de chiffre d’affaires et supporte 300 d’achats intermédiaires. Sa valeur ajoutée est donc de 1.2001.

    Si sur ces 1.200, les salaires représentent 800, dont 400 de cotisation, alors l’INSEE va faire le calcul suivant : elle va estimer la production non marchande à 300 pour le « facteur travail », et elle va y ajouter par exemple2 100 de consommation de capital fixe3 pour le « facteur capital ». C’est ce qu’on appelle l’évaluation « au coût des facteurs ». Elle en déduit une évaluation à 400 de la valeur de la production non marchande.

    L’INSEE obtiendra donc un PIB de 1.200 + 400 = 1.600. Les 400 produits par le secteur non marchand s’additionnant à la valeur ajoutée de l’entreprise.

    Figure 2

    Si on avait considéré que la valeur ajoutée de l’entreprise incluait la valeur de la production non marchande (au moins la part correspondant à la cotisation) alors il aurait fallu déduire 300 de sa valeur ajoutée et ne comptabiliser que 900 + 400 égale 1.200 comme PIB total.

    Il n’y a donc pas de « coût du non marchand » dans le prix des marchandises, il n’y a que le coût du travail des salariés de l’entreprise et le coût du capital !

    Si les services non marchands étaient fournis par des entreprises privées, il faudrait distribuer aux salariés du pouvoir d’achat supplémentaire, donc du salaire, en lieu et place de la cotisation et l’impôt pour qu’ils puissent acheter des services devenus payants. Le coût final pour l’entreprise en serait généralement augmenté du profit des actionnaires de ses nouvelles entreprises et qui n’existe pas dans le service public.

    Comparaison internationale des coûts du travail

    La comparaison internationale ci-dessous (figure 3) montre que le coût du travail en France n’est pas très différent du coût du travail aux États-Unis par exemple, malgré une différence notoire de modèle social.

    Il n’est donc pas possible de considérer que la cotisation soit un « sursalaire ».

    Le coût du travail dépend donc plus des conditions économiques et sociales générales que des modalités de leur financement, ce qui justifie de considérer que le salaire, quel que soit sa composition, est bien « ce que l’entreprise est obligée de payer pour obtenir du travail », indépendamment de l’existence ou non d’une cotisation. Car là ou celle-ci est absente le salaire doit permettre d’acheter les biens et services (quand il y en a…) fournis ailleurs gratuitement grâce à la cotisation.

    Figure 3

    Notes


    1. Cette présentation est volontairement très schématique. En réalité les comptables nationaux ne prennent comme coût du travail que la part des impôts et cotisations qui servent à payer les fonctionnaires et personnels de santé. Mais cela ne change rien au raisonnement général. ↩︎

    2. En en faisant l’estimation par ailleurs. ↩︎

    3. Équivalent de l’amortissement des immobilisations dans l’entreprise. ↩︎