Pour une Sécurité Sociale de la Spiritualité
Cet article est un exercice pour tester une proposition du Réseau Salariat de mise en Sécurité Sociale Sectorielle des pratiques touchant à la spiritualité, à la religion, au développement personnel.
Le choix de la thématique est à la fois un peu farfelu et très sérieux. Farfelu car ce n’est pas un sujet de lutte prioritaire, sérieux car le religieux ne se négocie pas. C’est un espace qui touche à l’intime, aux convictions, à la culture, au rapport à l’altérité et au sacré.
C’est une occasion d’envisager la mise en sécurité sociale d’un secteur supplémentaire de l’économie, entendu que tous les lieux de travail peuvent être concernés.
Pour le plaisir et l’ambition d’imaginer une nouvelle branche de la sécurité sociale
Réseau Salariat propose une stratégie de développer des sécurités sociales sectorielles. Pour notre association, c’est à la fois :
- S’appuyer sur un déjà là puissant, avec depuis presque 80 ans l’histoire du Régime Général, la richesse et la diversité des statuts et organisations communistes dans des branches soin et Chômage, Famille et Retraite
- Des conquis sociaux, des statuts de travailleurs à prolonger, développer et généraliser
- Une stratégie de réflexion pour structurer en filières cohérentes
- S’appuyer sur des luttes existantes et des constructions de branches de sécurité sociale en cours (Alimentation, Culture, Funéraires pour les plus avancées, d’autres en réflexion…)
- Un rappel que le mode de production capitaliste est contesté, et qu’il n’est ni unique ni indépassable
C’est un exercice que nous recommandons à tous les militants et organisations de faire, dans le domaine de leur choix, suivant leurs envies et besoins.
Imaginer un acte II de la loi de séparation de l’Église et de l’État
Pour mémoire, et suivant interprétation des explications par Emmanuel Todd, le génie de la loi de séparation de l’église et de l’état de 1905 ce sont :
- L’église catholique, depuis l’avènement du Capitalisme, mais en particulier depuis la révolution française, est une institution de pouvoir en déclin.
- Fin XIX début XX, constat de troubles sociaux sur fond religieux (déchristianisation des institutions politiques différenciées suivant les régions). Localement, des organisations religieuses sont contestées en tant qu’institutions. Cependant, les combattre brutalement conduit localement à les raidir, voir à les renforcer.
- La représentation française propose le principe de laïcité : La République garantit le libre exercice des cultes, avec sous-entendu en retour que le culte n’interfère pas avec les institutions politique
- Sur le terrain, surtout on ne fait rien (l’église garde la conduite des écoles dans l’ouest, par exemple)
- Les agressions pour motif religieux s’amenuisent
- 80 ans plus tard, le christianisme en France, en tant qu’institution de pouvoir, s’est effondré partout.
Nous proposons une démarche similaire, à savoir début XX accompagner la sortie de la pratique féodale de la spiritualité, aujourd’hui accompagner la sortie de la pratique capitaliste de la spiritualité.
Nous continuons en cela de séparer la classe capitaliste des institutions économiques (privées comme étatiques).
Une actualisation du principe de laïcité serait de constater que les institutions capitalistes, en tant que rapports sociaux, sont en déclin à leur tour. En réaction, elles ont tendance à se présenter comme des évidences, à se naturaliser, voir à se mettre en scène en tant que religion. On peut noter comme discours récurent des croyances et dogmes capitalistes : la glorification du mérite avec au sommet la classe bourgeoise (qu’il ne faut pas ni brimer ni taxes, sinon ils vont partir), la divination économique par les marchés financiers (et leurs présages protecteurs ou courroucés), notre chemin de croix à tous qu’est le marché du travail, l’accès au bonheur (marchand) par une infinité de biens et de services capitalistes à notre disposition…
Bref une infinité de fadaises qui nous éloignent de notre humanité et de notre rapport au vivant. Le dépassement du mode de production capitaliste est en cours, et urgente d’un point de vue écologique et anthropologique.
La proposition de Sécurité Sociale de la Spiritualité, c’est d’un côté poser le spirituel comme un besoin individuel et collectif. C’est rappeler d’un autre côté que la lutte de classe est un rapport social vivant. Le Capitalisme n’est pas une parole divine, mais une classe bourgeoise qui cherche à imposer sa définition du travail.
Cependant, nous n’allons pas l’affronter directement, mais, en s’inspirant de la loi de 1905 et des conquis communistes, continuer à mettre en places d’autres institutions plus puissantes, et constater à posteriori son effondrement.
Refuser le rapport raciste à l’Islam
La motivation première pour envisager ce thème est un profond agacement du racisme que la classe politique dominante entretien en France avec l’islam et les musulmans [1].
Cet article vient d’une impression que notre rapport à l’islam est en train d’évoluer, et qu’invoquer cette religion pour justifier des discriminations ne sera bientôt plus toléré.
On peut acter que la loi de 2004 sur le voile est un échec dans ses objectifs. Elle était conçue pour stigmatiser une population précise : les musulmanes en collège et lycée, sous prétexte de faire reculer l’usage du voile religieux. Est-ce que cela à réduit l’usage du voile dans l’espace public : non. Est-ce que cela fait avancer la cause féministe : non. Les musulmanes n’attentent pas les recommandations morales occidentales pour lutter contre la domination patriarcale, y compris en accord avec leur pratique religieuse. En ciblant un groupe social précis (les musulmanes et musulmans), l’état français organise et alimente une stratification sociale, les musulman.e.s seraient inférieur.e.s aux autres citoyens)
Pour précision, la focalisation sur l’islam sert à créer et entretenir un principe d’inégalité utile aux autres structures de domination (classe, genre, race pour les principaux): lorsque l’on identifie un groupe social avec des mesures institutionnelles spécifique, qu’on le veuille ou non, on crée une hiérarchie [2]. Les seules mesures pertinentes sont celles qui visent l’égalité, envisagent l’universalité et un traitement identique pour tous.
Nous n’avons plus à intervenir quant au choix de religion de leur pratique, dans la limite de leur choix consentis et éclairés.
Il est temps de donner à l’Islam la même chance qui a été donné au catholicisme : le droit d’évoluer dans le champ public, sans discrimination, en liberté de conscience. Ce sera aussi reconnaître que les religions n’ont pas à intervenir dans les institutions politiques.
Donc créer une Sécurité Sociale de la Spiritualité sera intégrer toutes les pratiques spirituelles dans un même ensemble, sans les différentier, dans un objectif d’égalité.
Il sera possible de mettre à disposition du temps et des locaux pour que chacun puisse pratiquer dignement sa religion.
On pourra aussi constater que les églises catholiques sont de plus en plus vides et inutilisées, et que les lieux pour pratiquer les autres formes de spiritualité sont sûrement inadaptés.
Abandonner toute politique coloniale
Il est recommandé à Réseau Salariat de prendre en compte sur TOUTES nos thématiques notre rapport colonial, dans nos présupposés, notre histoire et nos pratiques actuelles.
On peut l’envisager pour la Kanaky, qui reste un territoire à décoloniser. Le conflit en cours nous est présenté du point de vue des colons, les kanakes sont au mieux ignorés, au pire présentés comme des sauvages. Même quand le projet de Kanaky est le plus équilibré, pertinent, visionnaire, les kanakes restent, de métropole, en décalage racial, culturel, économique et religieux
On peut aussi faire la critique des imports de spiritualités orientales, asiatiques et sud-américaines vers l’Europe.
Dans un premier temps, elles sont partiellement importées, expurgées de leur contexte, sans mention des relations avec les cultures et luttes locales.
Ensuite, ne sont conservés que les aspects compatibles avec un fonctionnement capitaliste, souvent réduit à du développement personnel.
Ces spiritualités ont toutes des intérêts, mais à prendre dans leur globalité et tous leurs aspects, y compris ce qui nous met en mouvement collectif.
Plus proche de nous, et plus intense en métropole, le rapport à l’islam inclus aussi un rapport à la colonisation. La perte des colonies française n’est pas encore digérée. Mais comme le nombre de participant aux commémorations nostalgiques de la situation avant les accords d’Évian est en forte baisse, il est peut-être temps pour la France de faire son devoir de mémoire. La France peut enfin accepter sa position de petite puissance mondiale, et équilibrer ses relations avec nos anciennes colonies (voir avec tous les pays qui ne sont pas nord américains – Européen).
Cela s’applique aussi pour condamner et agir contre les massacres et le génocide en cours au proche orient par l’État d’Israël et sa politique coloniale. Il est urgent de dénouer le lien construit entre judaïsme et Israël. C’est un préalable nécessaire pour refuser d’accompagner le processus de colonisation en cours et à venir. [3]
Une Sécurité Sociale de la Spiritualité devra en tenir compte.
Ne pas laisser le besoin de spiritualité aux institutions Capitaliste
Il est presque décevant de constater que partout où le capitalisme aujourd’hui met ses gros doigts dégueulasses, c’est une catastrophe. La pratique spirituelle ne fait pas exception.
Constatant que les institutions capitalistes se sont développées contre les institutions féodales (dont le pouvoir religieux comme puissance économique), elles ont aussi su profiter des dynamiques religieuses (le protestantisme) pour se diffuser et s’imposer.
Actuellement, dans les pays occidentaux où la pratique religieuse est en forte baisse, d’autres pratiques spirituelles, compatibles avec le capitalisme, sont proposées.
L’une de ses formes actuelles est le Développement Personnel.
Pour simplifier, le Développement Personnel est un ensemble de techniques visant à une meilleure connaissance de soi. Lorsque le capitalisme envahit nos espaces personnels et professionnels, le Développement Personnel semble nous aider à tolérer ces contraintes. Alors, le Développement Personnel propose de reléguer toute remise en cause globale et toute lutte collective vers la sphère intérieure.
Cependant, les contraintes globales qui pèsent sur nous ne peuvent avoir que de réponse collective. Le Développement Personnel propose de résoudre un problème à l’échelle individuelle, sans traiter la cause systémique et globale.
La croyance est un besoin de l’être humain. Le développement personnel oriente la croyance vers une acceptation de la mondialisation.
Il sera prêté attention à notre recherche collective de sens : que voulons-nous faire ensemble. Actuellement, la classe dirigeante n’a pas grand sens à nous proposer, hormis sa reconduction et l’affirmation de la puissance de la classe capitaliste. Pour cela, elle passe son temps à nous diviser et nous opposer (genre, race, classe…), sans tenir compte des effets de ses pratiques sur l’environnement (tant que cela ne se voit pas trop).
Il est alors urgent de proposer des objectifs compatibles avec une vie ensemble dans un rapport sensible et réflexif au vivant.
Les contraintes capitalistes ont aussi des effets physiques et psychologiques sur la santé. Le développement personnel est une tentative pour en masquer les conséquences.
Les travailleurs d’une Sécurité Sociale de la Spiritualité seront aussi formés pour renvoyer vers des professionnels de santé compétents les usagers qui en auraient besoin.
Développement personnel et Féminisme
Le public qui consomme du Développement Personnel (livres, périodiques,…) est principalement féminin. Pour les publications, autrefois faites par des éditeurs alternatifs, les grandes maisons d’éditions sont dorénavant présentes sur ce marché. Le public cible est une femme, jeune, avec un 1er diplôme universitaire, formé à l’occidentale, mais perméable à l’ésotérisme, au questionnement [4].
On peut en déduire un rapport à la spiritualité genré. Une offre de spiritualité et de développement personnel organisé de manière communiste devra en tenir compte.
D’une part les envies et besoins de spiritualité ne sont pas identiques pour tou.te.s.
Pour caricaturer, les femmes sont socialement plus incitées que les hommes au travail sur soi.
La Sécurité Sociale de la Spiritualité devra aussi proposer aux hommes de faire une part de ce travail.
Donc une proposition de Sécurité Sociale de la Spiritualité devra être suffisamment vaste et diversifiée pour répondre aux besoins de toutes et tous, sans minorer ou masquer les autres rapports de domination
Politiser l’accès à la spiritualité, pour en libérer le contenu
La Sécurité sociale de la Spiritualité devra nous orienter dans une recherche de quête de sens, par des outils individuels et/ou collectifs accessible pour tou.te.s.
Plutôt que de s’acharner sur une religion en particulier, envisageons un accès égal à la pratique spirituelle et religieuse.
La référence à la Sécurité Sociale (sa version crée en 1946) signifie une gestion démocratique, financée de préférence par création monétaire, et validée par cotisation sur la valeur ajoutée, au bénéfice de tou.te.s.
Elle affirme que les travailleurs de la spiritualité seront créateurs de valeur économique, que des institutions reconnaissent leur travail, et les rémunèrent à cette mission exclusive.
De plus, une branche supplémentaire de la Sécurité Sociale éloignera le Spirituel de l’État, et limitera les tentatives de récupération.
Pour une Sécurité Sociale de la Spiritualité
On pourrait donc regrouper tous les travailleurs de la spiritualité sous une même branche de la sécurité sociale.
La diversité des organisations et statuts de travailleurs incite à un fonctionnement très souple.
Les branches Santé et Chômage de la Sécurité Sociales ont démontré qu’elles pouvaient fournir un salaire sous des statuts très différents, de l’intermittent du spectacle (dont il faut réaffirmer les droits et les renforcer) au fonctionnaire, en passant par l’indépendant de santé.
Il est aussi possible de s’inspirer du concordat où les travailleurs du culte ont un statut proche de la fonction publique.
Pour finir, une estimation économique (produit en croix sur un coin de table) :
15 000 travailleur de la spiritualité, imaginé en temps partiel
→ 7500 temps plein,
→ soit un travailleur à plein temps pour 1 000 Habitants
→ 1500 Mdr € PIB / an / 1000 = 1,5 Mdr € de budget annuel = clopinettes du budget de la nation.
Pour les propriétés des lieux, on peut envisager un double système de propriété :
- une propriété patrimoniale aux institutions locales (propriétaire et taille du patrimoine à définir)
- une propriété d’usage aux professionnels de la spiritualité et aux usagers
C’est déjà la pratique pour les églises catholiques. A voir si ces locaux seront utilisés pour différents usages, ou s’il faudra fournir d’autres locaux.
Pour rappel, cette proposition est une ébauche. Elle ne répond pas à beaucoup de questions : quel rapport entre les différents intervenants, compatibilité avec les vœux de pauvreté, relation précises avec d’autres institutions, formation des travailleurs, rapport à l’international…
To be continue….
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[1] La liste est quasi sans fin, mais on peut citer comme exemples : le bruit et l’odeur de Chirac, le traitement du voile, toujours de Chirac, le traitement de la mort de Zyed et Bouna par Sarkozy, toute l’œuvre du ministre Valls sous Hollande, le traitement de la mort de Naël sous Macron, la position de la France sur la Palestine de tous temps et encore plus sous Macron…
[2] C’est pourquoi la marche en novembre 2023 contre l’antisémitisme met la focale sur une population précise… et prend le risque de créer de l’antisémitisme.
[3] Israélien et anti-sioniste ? Avec Nadav de Tsedek (Judaïsme, sionisme, antisémitisme.) Talkie Wiwi#2
[4] Elucid Media – le marché du Bonheur – Thierry Jobard
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Références :
- Parole d’honneur – Marxisme et religion, avec Bernard Friot
- Blast – Le « Bien être » Danger ou solution ? - Camille Teste
- Elucid Media – le marché du Bonheur – Thierry Jobard
- Frustration Magazine - Capitalisme et Souffrances Psychologiques : Françoise Vergès et Nicolas Framont
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Merci à Wissam pour nous partager sa pratique religieuse et son immense travail.
Merci à Bernard pour tout